L’Agent Secret
O Agente Secreto (The Secret Agent)
Prix de la mise en scène – Cannes
Prix d’interprétation masculine – Cannes
2025/2026
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Avec un titre aussi évocateur, « L’Agent Secret » convoque immédiatement un cadre narratif propre au film d’espionnage, et pourtant ce film brésiliano-français n’en est pas un. C’est plutôt dans l’atmosphère et la construction de son récit qu’il emprunte au genre de l’espionnage pour progressivement évoluer entre les genres trouvant un équilibre de samba entre une grave intrigue profondément historique, une étude de personnage mystérieuse et des éléments de culture populaire mélangeant le tout avec humour et surprise.
Écrit sous l’ère Bolsonaro, et en partie écrit à Bordeaux, le film de Kleber Mendonça Filho est ainsi un thriller politique et un drame familial qui nous plonge dans le Brésil – et plus précisément les Brésil(s) et leurs oppositions entre Nord et Sud – des années 1970, soit en pleine dictature militaire bien qu’elle ne soit jamais mentionnée et ne transparaisse pas à l’écran (à l’exception du portrait officiel du Président). Mais l’atmosphère suffocante et oppressante de ce régime autoritaire est quant à elle bien présente créant une forme d’urgence anxiogène dans une société gangrénée par une corruption ambiante à tous niveaux. « L’Agent Secret » explore ainsi une époque ténébreuse à travers le parcours tragique d’un protagoniste en difficulté dont l’itinéraire ausculte les méandres de l’Histoire brésilienne et résonne au fil des décennies.
En cela, le réalisateur signe un nouveau film sur le traumatisme d’une nation amnésique, un an après « Je suis toujours là » de Walter Salles, en entrelaçant de nombreuses thématiques des enjeux industriels privés à la question de la transmission générationnelle, en passant par le fascisme expatrié et l’entraide clandestine. Au final l’histoire porte sur des questions universitaires dans une opposition marquée entre culture & science vs obscurantisme : le sauvetage d’un scientifique se prépare ainsi dans une salle de projection d’un cinéma d’époque depuis disparu. C’est une fresque historique et personnelle dans une narration qui prend son temps pour mettre en place un jeu de piste permanent pour le spectateur avant de ne découvrir les tenants et aboutissants de l’intrigue qu’au bout d’une heure et demie d’un récit plus proche d’un roman que d’un scénario pour conclure sur une excellente fin déjouant à nouveau les attentes et ouvrant son histoire à une portée plus large.
Doublement primé à Cannes, « L’Agent Secret » emporte ainsi son spectateur au gré de ses 2h40, dans une évolution des registres d’une première scène d’où naît une forme de tension énigmatique à des scènes plus ironiques, parfois hallucinatoires, voire métaphoriques. C’est un film qui n’hésite pas à prendre quelques détours de scénario et de ton incongrus pour néanmoins former un tout original et cohérent dans une reconstitution aux couleurs saturées particulièrement authentique et réussie de la ville de Recife dans les années 1970, et porté par l’excellente interprétation aux multiples facettes d’un Wagner Moura (Narcos ; Civil War ; Sergio) qui brille pour une fois dans sa langue maternelle dans un rôle d’un calme habité et tragique.
Raphaël Sallenave
With such an evocative title, “The Secret Agent” immediately conjures up a narrative framework peculiar to the spy film, yet this Brazilian-French film is no such thing. Rather, it’s in the atmosphere and structure of its narrative that it borrows from the spy genre, gradually evolving between the genres, striking a samba-like balance between a serious, deeply historical plot, a mysterious character study and elements of folk culture, blending the whole with humor and surprise.
Written under the Bolsonaro administration, and partly penned in Bordeaux, Kleber Mendonça Filho’s film is a political thriller and family drama that takes us back to Brazil – and more precisely, Brazil(s) and its North-South contrasts – in the 1970s, at the height of the military dictatorship, even though it is never mentioned or shown on screen (with the exception of the President’s official portrait). But the suffocating, oppressive atmosphere of this authoritarian regime is very much present, creating a form of anxiety-inducing urgency in a society plagued by pervasive corruption at every level. “The Secret Agent” thus explores a dark era through the tragic journey of a troubled protagonist whose path examines the mazes of Brazilian history and resonates across the decades.
In that respect, the director delivers yet another film about the trauma of an amnesiac nation, a year after Walter Salles’ “I’m Still Here”, interweaving several themes from private industrial stakes to the issue of generational transmission, as well as exiled fascism and underground mutual aid. Ultimately, the story deals with academic issues in a stark opposition between culture & science vs. obscurantism: the rescue of a scientist is thus set up in the projection room of a now-closed vintage movie theater. It’s a historical and personal epic, with a narrative that takes its time to set up a permanent puzzle for the viewer, before only revealing the ins and outs of the plot after an hour and a half of storytelling that’s closer to a novel than a screenplay, culminating in an excellent ending that once again thwarts expectations and opens up its story to a wider scope.
Winner of two awards at Cannes, “The Secret Agent” takes viewers on a 160-minute-long journey, moving from an opening scene of enigmatic tension to more ironic, sometimes delusional, or even metaphorical scenes. It’s a film that doesn’t hesitate to take a few incongruous detours in script and tone to nevertheless build an original and coherent whole in a particularly authentic and successful color-saturated recreation of the city of Recife in the 1970s, and driven by the excellent, multi-faceted performance of Wagner Moura (Narcos; Civil War; Sergio), who shines for once in his native language in a role of deep and tragic composure.
Raphaël Sallenave