La jeune femme à l’aiguille
Pigen med nålen (The Girl with the needle)
Silver Lions – Gdynia
Golden Frog – Camerimage
Best Film, Best Director & Best Screenplay – Poland
Best Actress & Best Supporting Actress – Poland
Best Set Design, Costume Design & Editing – Poland
Best Cinematography & Original Score – Poland
2024/2025
FR EN
Le cinéma n’est pas toujours un divertissement … il peut provoquer, déranger, et plonger son public dans un profond malaise pour le bousculer comme le fait « La jeune femme à l’aiguille », véritable choc esthétique et narratif. C’est l’histoire d’une descente aux enfers pour une jeune ouvrière qui lutte pour survivre. Après avoir perdu son mari, elle a du mal à joindre les deux bouts, vit une histoire d’amour humiliante et se retrouve chassée de son logement, soudain seule, sans ressources. Ses repères moraux vont vite être chamboulés …
Après avoir réalisé un premier film en suédois, puis un second en polonais, Magnus von Horn – le réalisateur de l’excellent « Sweat » – nous emmène cette fois au Danemark dans un film d’époque dont seulement quelques indicateurs temporels nous renseignent sur la date. C’est un film qui ne dit pas tout à son public tout de suite et prend souvent des directions inattendues. De même, il multiplie les thématiques, des rapports de classes aux ravages de la guerre, en passant évidemment par la condition (et la vulnérabilité) des femmes en interrogeant l’instinct maternel, et en recoupant une affaire criminelle inspirée de faits réels. Mais l’analyse sociale laisse rapidement place à la peinture d’un tableau historique d’une noirceur troublante. Malgré ce que le titre pourrait suggérer, ce n’est en effet pas un film sur l’avortement mais plutôt sur les êtres non désirés et le traitement qui leur est réservé dans la société.
Porté par deux superbes performances tout en retenue de Victoria Carmen Sonne et Trine Dyrholm, le film nous embarque dans une sombre atmosphère où les décors de Jagna Dobesz façonnent un dédale de ruelles et recoins qui respirent la crasse. Cette crasse est soulignée également par le choix du directeur de la photographie Michal Dymek (EO ; A Real Pain) de filmer dans un noir & blanc très contrasté rappelant l’expressionnisme allemand. Le format d’image 1 :44 (habituellement utilisé pour l’Imax) enferme d’autant plus ces personnages dans ce monde déshumanisé, et rappelle avec le noir & blanc les films d’époque au point de recréer la célèbre scène de la « Sortie de l’usine » des frères Lumière. C’est un film péniblement beau jusque dans sa partition musicale de Frederikke Hoffmeier (musicienne expérimentale danoise dont le nom de scène est Puce Mary) couplée à un montage son qui appuie sur l’effroi, à l’image de certaines scènes où des visages distordus sont superposés tels des « Cri[s] » de Munch.
Ces éléments d’époque mêlés à une musique électronique forment un parallèle entre ces sujets historiques et notre actualité. Ce n’est donc pas uniquement un drame social historique, et avec la distance maintenue avec ses protagonistes ainsi que son jeu sur les apparences, « La jeune femme à l’aiguille » intègre des archétypes du conte. Mais le prince y est lâche, le monstre sans visage au cœur pur, la sorcière cachée au milieu des douceurs … les généreux sont repoussants quand on s’éprend du diable dissimulé derrière une double façade, ce qui nous renvoie à notre volonté de ne pas regarder en face les horreurs de la société. Fort de plusieurs scènes viscérales, c’est ainsi un film dur et dérangeant, un magnifique conte funeste à la fois fascinant et éprouvant.
Raphaël Sallenave
Cinema isn’t always about entertainment… it can challenge, disturb and throw its audience into a deep state of unease, as does “The Girl with the Needle”, a true visual and narrative experience. It’s the story of a young worker’s downfall as she struggles to survive. After losing her husband, she barely makes ends meet, experiences a humiliating love affair and finds herself thrown out of her home, suddenly alone and destitute. Her moral bearings are soon turned upside down…
After making his first film in Swedish, followed by a second one in Polish, Magnus von Horn – director of the brilliant “Sweat” – this time takes us to Denmark in a period film for which only a few time markers reveal the time. It’s a film that doesn’t tell its audience everything straight away, and often goes in unexpected directions. Likewise, it deals with a wide range of themes, from class relations to the ravages of war, as well obviously as the status (and vulnerability) of women, examining the maternal instinct and overlapping with a criminal case inspired by real events. But the social analysis quickly gives way to the painting of a disturbingly dark historical picture. Despite what the title might suggest, this is not a film about abortion, but rather about the unwanted and how society treats them.
Led by two excellent, quietly subdued performances from Victoria Carmen Sonne and Trine Dyrholm, the film takes us into a dark atmosphere where Jagna Dobesz’s sets create a maze of alleyways and crannies that exude filth. This grime is also reflected in cinematographer Michal Dymek’s (EO; A Real Pain) choice of high-contrast black & white, reminiscent of German Expressionism. The 1:44 aspect ratio (usually used for Imax) further confines the characters in this dehumanized world, and with the black & white it recalls period films to the point of recreating the Lumière brothers’ famous “Exit from the Factory” scene. This is a painfully beautiful film, right down to its score by Frederikke Hoffmeier (a Danish experimental musician whose pseudonym is Puce Mary), combined with a sound design that emphasizes fright, as in certain scenes where distorted faces are projected onto others echoing “The Scream[s]” from Edvard Munch.
These period elements mixed with electronic music build a parallel between these historical subjects and our current times. It’s therefore not just a historical social drama, and with the distance it creates with its protagonists as well as its emphasis on appearances, “The Girl with the Needle” embodies the archetypes of fairy tales. But here, the prince is a coward, the faceless monster pure of heart, the witch hidden among sweets … the generous are repulsive when one falls in love with the devil hidden behind a double façade, which brings us back to our unwillingness to face up to the horrors of society. With its many visceral scenes, this is a tough, unsettling film, a beautiful tale of doom that is both fascinating and harrowing. In other words, a hell of a movie.
Raphaël Sallenave