Rsg Production

Rendez-vous avec Pol Pot

 
Meeting with Pol Pot

2024

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Rithy Panh a consacré la majeure partie de son travail à l’évocation du drame qui a endeuillé à jamais sa vie et tout son pays natal le Cambodge : le génocide des Khmers Rouges et de leur guide suprême Pol Pot de 1975 à 1978. Depuis trente ans il a réalisé de nombreux documentaires sur cette période cruelle et traumatisante, il ajoute aujourd’hui une nouvelle pierre à son œuvre de mémoire en repassant cette fois à la fiction sous un angle particulier : celui de la propagande et de l’aveuglement d’une partie de l’Occident, et en particulier des intellectuels de Gauche.

Le film s’inspire très librement du récit de la journaliste du Washington Post Elizabeth Becker qui réussit en 1978 avec un collègue et un écrivain marxiste à pénétrer dans les frontières fermées de ce qui s’appelait alors le Kampuchéa démocratique et à obtenir un entretien exclusif avec ‘Frère numéro 1’ alias Pol Pot. Rithy Panh transpose ici cette histoire avec trois personnages français – joués par Irène Jacob, Cyril Gueï, et Grégoire Colin. Ce changement lui permet de superposer à l’histoire de presse, la visite d’une délégation française du PCMLF en 1978, ainsi que de rappeler la formation universitaire française des hauts dignitaires du régime khmer.

Sous haute surveillance de l’Angkar (l’Organisation khmer), les trois invités français sont alors embarqués dans un véritable circuit balisé au service de la propagande d’État visant à créer des hommes nouveaux à partir de la classe des paysans pauvres. Les personnages se positionnent alors chacun différemment face à cet écran de fumée, les journalistes s’insurgeant contre cette dissimulation de la nature totalitaire du régime, et l’intellectuel engagé refusant de voir la réalité en face : une population brisée sans le moindre espace de liberté. Dans une scène hautement symbolique, les soldats khmers bandent ainsi les yeux de l’intellectuel français qui s’avère incapable d’identifier ce que l’on décrirait en anglais comme ‘the elephant in the room’.

Rithy Panh choisit la suggestion et le contournement pour distiller l’horreur dans nos esprits. Il ne met ainsi en scène la violence qu’à travers une série d’indices, de non-dits, et de hors-champs. Elle se traduit dans l’absence de vie d’un pays à l’arrêt, dans les visages blêmes et terrifiés, et dans le silence de toute une population (accentué par la quasi-absence de musique). La violence n’est ainsi que suggérée indirectement à l’image d’un Phnom Penh nocturne et silencieux, purgé de ses habitants et de son passé ; ou des séquences en maquettes faisant appel à notre imagination.

C’est en effet une œuvre protéiforme alternant des scènes jouées avec les acteurs, à des images d’archives du régime en noir et blanc, ainsi qu’à ces scènes de miniatures tournées avec des figurines d’argile (une technique que le cinéaste cambodgien avait déjà utilisée dans ses documentaires). C’est un récit sobre, très lent, à la mise en scène quasi-documentaire qui propose de belles idées de cinéma et de beaux plans (à l’image du dictateur de l’ombre) mais qui manque malheureusement d’enjeux et souffre alors de longueurs. Une œuvre politique, historique, et symbolique qui aurait clairement pu être plus puissante et captivante.

Raphaël Sallenave
 

Rithy Panh has devoted most of his work to documenting the tragedy that forever scarred his life and his homeland, Cambodia: the genocide led by the Khmer Rouge and their supreme leader Pol Pot from 1975 to 1978. Over the past thirty years, he has made many documentaries about this cruel and traumatic era, and today he is adding a new chapter to his memorial work, this time returning to fiction from a particular perspective: that of the propaganda and blindness of some Westerners, especially the left-wing intelligentsia.

The film is loosely based on the story of Washington Post journalist Elizabeth Becker, who in 1978, along with a colleague and a Marxist writer, managed to get inside the closed borders of what was then known as Democratic Kampuchea and earn an exclusive interview with ‘First Brother’ aka Pol Pot. Rithy Panh here adapts this story with three French characters – played by Irène Jacob, Cyril Gueï, and Grégoire Colin. This change enables him to overlap the journalistic story with the visit of a French delegation of the PCMLF (French Marxist-Leninist communist party) in 1978, as well as pointing out the French university background of the Khmer regime’s top officials.

Under the watchful eye of the Angkar (the Khmer Organization), the three French guests are taken on a true guided tour designed to promote state propaganda aimed at creating new men from the class of poor peasants. Each character then takes a different approach to this smokescreen, with the journalists protesting against this cover-up of the regime’s totalitarian nature, and the politically engaged scholar refusing to face up to the reality of a broken population with no room for freedom whatsoever. In a highly symbolic scene, the Khmer soldiers thereby blindfold the French intellectual, who proves to be unable to identify what can only be described as ‘the elephant in the room’.

Rithy Panh chooses suggestion and circumvention to infuse our minds with horror. He only stages violence through a series of clues, unspoken words and out-of-frame situations. It is reflected in the lifelessness of a country at a standstill, in the pale, terrified faces, and in the silence of an entire population (further reinforced by the virtual absence of music). Violence is therefore only indirectly suggested like with the image of a silent, nocturnal Phnom Penh, cleansed of its inhabitants and its past; or with the miniature scenes that call on our imagination.

This is a multi-faceted film, alternating scenes with actors, black-and-white archival footage of the regime, and those miniature scenes shot with clay figurines (a technique the Cambodian filmmaker had already used in his documentaries). This is a quiet, slow-moving story, with a quasi-documentary style of direction that offers some nice cinematographic ideas and beautiful shots (such as the image of the shadowy dictator), but unfortunately lacks stakes and suffers from length. This is a political, historical and symbolic film that clearly could have been more captivating and powerful.

Raphaël Sallenave
El Conde
Les Colons