Rsg Production

Les Colons

 
Los Colonos (The Settlers)

2023

FR                   EN

 
“L’imaginaire national” est un construit délimité par des frontières physiques ou morales parfois abstraites et conçu par un processus historique plus ou moins long. En Amérique latine il fut ainsi bien plus court qu’en Europe menant notamment à un effacement forcé de certaines pages de l’Histoire et la construction de nations sur le sang et le mensonge.
 
Telle est la toile de fond de ce western chilien qui nous emmène aux confins du continent latino-américain, la Terre de Feu, à la frontière entre le Chili et l’Argentine à l’aube du XXe siècle où un grand propriétaire terrien blanc confie pour mission à trois de ses employés d’ouvrir une route, de ses terres à l’océan Atlantique. Entendez par-là, vider ses terres des populations autochtones pour le passage de son élevage et faire fructifier son commerce de la laine. Trois cavaliers partent alors pour un rude périple : un ex-officier britannique, un mercenaire texan, et un métis Mapuche. S’ensuivent les traques, les meurtres, les viols, le doute et le dégoût puis un Etat chilien bien lointain venu consolider ses jeunes fondations nationales.
 
Présenté à Cannes (Un certain regard) et Prix de la critique internationale, ce film nous embarque dans une fiction autour de personnages historiques comme le Président Montt ou le richissime José Menéndez, Roi de la Patagonie, resté dans l’Histoire comme l’artisan du développement économique de cette région. Une Histoire officielle chilienne qui fait table rase du génocide des Indiens Selk’nam (appelés Onas par les Blancs) qui peuplaient et exploitaient ces terres avant qu’elles ne soient privatisées. Le film se divise ainsi en deux parties, l’une très western et l’autre plus politique. La première reprend les notions de frontière et de conquête chères au genre du western en commençant par délimiter le territoire – en clôturant d’immenses parcelles à travers des espaces battus par les vents qui s’étendent à perte de vue – avant de le sécuriser et de le nettoyer. Quand la seconde éclaire la manipulation des faits en montrant une société qui in fine parvient à s’arranger avec tous les massacres et sauvageries au nom d’une supposée civilisation.
 
Quand on entend « Les Colons », on pense inévitablement aux conquistadors et aux vagues d’Européens venues s’installer sur le Nouveau Continent et imposer leur modèle de civilisation au mépris des peuples indigènes. Or, ici l’histoire se situe en 1901, lesdits ‘colons’ sont donc déjà des citoyens chiliens et non plus des Européens. Le film confronte donc son pays à son passé douloureux en mettant en scène des Chiliens comme colons sur leurs propres terres. ‘Tuer des sauvages au nom du développement des terres’ dans le contexte des accords avec le peuple Mapuche, tel est le récit de colonisation post-coloniale que raconte le film comme une blessure encore ouverte à l’image du personnage qui change de nom refoulant son passé. « Les Colons » interroge ainsi : comment la barbarie se répète-elle ? Comment une jeune nation se construit-elle ? Que se passe-t-il quand on efface volontairement une page de son histoire ? Et si cela vaut pour l’extermination des Selk’nam, cela vaut aussi aujourd’hui pour la dictature post 1973 …
 
Et toutes ces questions et les interrogations sur les personnages, le contexte ou l’intrigue en elle-même, le film laisse le spectateur se les poser lui-même dans une forme de narration presque indirecte faite de sous-entendus où l’objectif est à la fois très large et presque vague. Il dit peu explicitement mais montre beaucoup avec une prise de distance rendant l’ensemble assez brut et sec mais invitant par la suite à la réflexion. Pour son premier long-métrage, Felipe Gálvez Haberle réalise un très beau film rugueux où la barbarie est mise en scène avec mesure à l’image du très fort dernier plan. La photographie de Simone D’Arcangelo vient illuminer les immensités grandioses de ces territoires reculés dans un cadre 4/3 rappelant les films de l’époque quand la musique de Harry Allouche fait vibrer ces paysages annonçant immédiatement la brutalité des personnages avec ses percussions et ses contrebasses. Un film ambitieux donc, qui utilise le langage cinématographique pour symboliser son message avec une couleur rouge sang comme leitmotiv, du titre du film et des chapitres au générique de fin instructif en passant par la veste du lieutenant.
 
Raphaël Sallenave
 
{English below & Español al final}
 
‘Imagined national communities’ are a construct delimited by physical or moral borders, sometimes abstract, and conceived through a historical process of varying length. In Latin America, this process was much shorter than in Europe, leading to the forced erasure of some chapters of history and the forging of nations on the basis of blood and lies.
 
Such is the backdrop to this Chilean western, which takes us to the farthest reaches of the Latin American continent, Tierra del Fuego, on the border between Chile and Argentina at the dawn of the 20th century, where a wealthy white landowner assigns three of his men to open up a path from his land to the Atlantic Ocean. In other words, to remove the native populations from his lands to make way for his cattle and wool trade. Three riders then set off on an arduous journey: a British ex-officer, a Texan mercenary and a Mapuche half-breed. What follows is hunting, murder, rape, doubt and revulsion, followed by a faraway Chilean state consolidating its fledgling national foundations.
 
Presented at Cannes (Un certain regard) and awarded the International Critics’ Prize, this film takes us on a fictional journey around historical figures such as President Montt and the wealthy José Menéndez, King of Patagonia, who has gone down in history as the architect of the region’s economic development. An official Chilean history that wipes out the genocide of the Selk’nam Indians (called Onas by the whites) who inhabited and cultivated these lands before they were privatized. The film is thus divided into two parts, one very much Western-like and the other more political. The first takes up the western genre’s cherished notions of frontier and conquest, starting with the delimitation of territory – fencing off huge plots of land across wind-beaten spaces that stretch as far as the eye can see – before securing and clearing it. While the second sheds light on the manipulation of facts, showing a society that ultimately manages to get away with all the massacres and savageries in the name of so-called civilization.
 
When we think of “The Settlers”, we inevitably think of the conquistadors and the waves of Europeans who came to settle on the New Continent and impose their own civilization at the expense of the indigenous peoples. Here, however, the story is set in 1901, so the « settlers » are already Chilean citizens, not Europeans. The film thus confronts its country with its painful past by depicting Chileans as settlers on their own land. ‘Killing savages in the name of developing the territory’, in the context of the agreements with the Mapuche people, this is the tale of post-colonial colonization that the film unfolds like a wound still open, just like the character who changes her name, repressing her past. “The Settlers” raises a number of questions: how does barbarism repeat itself? How does a young nation build itself? What happens when a chapter of history is deliberately erased? And if this applies to the extermination of the Selk’nam, it also applies today to the post-1973 dictatorship…
 
And all these questions and interrogations about the characters, the context or the plot itself, the film lets the audience ask them themselves in an almost indirect form of narration made of innuendo, where the objective is both very broad and almost vague. It says little explicitly, but shows a great deal, with a distancing that makes the whole thing rather raw and dry, but inviting reflection afterwards. For his first feature film, Felipe Gálvez Haberle delivers a rough and beautiful film in which savagery is staged with restraint, as in the powerful final shot. Simone D’Arcangelo’s cinematography captures the majestic vastness of these remote territories in a 4:3 aspect ratio reminiscent of the films of the time, while Harry Allouche’s percussive, double-bass score immediately sets the tone for the brutality of the characters. This is therefore an ambitious movie, which uses cinematographic language to symbolize its message, with the blood-red color as a leitmotif, from the title of the film and the chapters to the instructive end credits as well as the lieutenant’s jacket.
 
Raphaël Sallenave
 
ESPAÑOL
 
‘Comunidades nacionales imaginadas’ son una concepción delimitada por fronteras físicas o morales, a veces abstractas, y forjada a través de un proceso histórico más o menos largo. En América Latina, este proceso fue mucho más breve que en Europa, lo que condujo al borrado forzoso de ciertas páginas de la historia y a la creación de naciones con sangre y mentiras.
 
Este es el contexto de este western chileno, que nos lleva a los confines del continente latinoamericano, Tierra del Fuego, en la frontera entre Chile y Argentina en los primeros años del siglo XX, donde un gran terrateniente blanco confía a tres de sus empleados la misión de abrir una ruta desde sus tierras hasta el océano Atlántico. Es decir, limpiar sus tierras de población indígena para poder criar ganado y obtener beneficios de su comercio de lana. Así, tres jinetes emprenden un duro viaje: un ex oficial británico, un mercenario tejano y un mestizo mapuche. Les siguen acechanzas, asesinatos, violaciones, dudas y disgustos, y luego un lejano Estado chileno que viene a consolidar sus jóvenes cimientos nacionales.
 
Presentada en Cannes (Un certain regard) y distinguida con el Premio de la Crítica Internacional, esta película nos lleva a un viaje de ficción alrededor de personajes históricos como el presidente Montt y el acaudalado José Menéndez, Rey de la Patagonia, que ha pasado a la historia como el arquitecto del desarrollo económico de la región. Una historia oficial chilena que borra el genocidio de los indios selk’nam (llamados onas por los blancos) que poblaron y explotaron estas tierras antes de que fueran privatizadas. La película se divide entonces en dos partes, una de carácter muy western y otra más política. La primera retoma las nociones de frontera y conquista propias del género del Oeste, empezando por la demarcación del territorio – vallando enormes parcelas de tierra a través de espacios azotados por el viento que se extienden hasta donde alcanza la vista – antes de asegurarlo y desbrozarlo. La segunda arroja luz sobre la manipulación de los hechos al mostrar a una sociedad que, en última instancia, consigue asimilar todas las masacres y salvajadas en nombre de una supuesta civilización.
 
Cuando oímos “Los colonos”, pensamos inevitablemente en los conquistadores y en las oleadas de europeos que llegaron para instalarse en el Nuevo Continente e imponer su modelo de civilización a los pueblos indígenas. Pero aquí la historia se sitúa en 1901, por lo que los « colonos » son ya ciudadanos chilenos, no europeos. La película confronta al país con su doloroso pasado mostrando a los chilenos como colonos en su propia tierra. Matar salvajes en nombre del desarrollo de la tierra », en el contexto de los acuerdos con el pueblo mapuche, es la historia de la colonización poscolonial que la película relata como una herida aún abierta, en la imagen del personaje que cambia de nombre, reprimiendo su pasado. Entonces “Los Colonos” se pregunta: ¿cómo se repite la barbarie? ¿Cómo se construye una joven nación? ¿Qué ocurre cuando se borra deliberadamente una página de su historia? Y si esto se aplica al exterminio de los Selk’nam, también se aplica hoy a la dictadura posterior a 1973…
 
Y todas estas preguntas e cuestionamientos sobre los personajes, el contexto o la propia trama, la película deja que el espectador se las haga en una forma de narración casi indirecta hecha de insinuaciones donde el objetivo es a la vez muy amplio y casi vago. Dice poco explícitamente pero muestra mucho con cierta distancia, lo que hace que el conjunto sea bastante áspero y seco pero invite a la reflexión posterior. Para ser su primer largometraje, Felipe Gálvez Haberle ha realizado una película muy fina y áspera, en la que la barbarie se escenifica con contención, como en el plano final, muy fuerte. La fotografía de Simone D’Arcangelo ilumina las grandiosas inmensidades de estos territorios remotos en un encuadre 4:3 que recuerda las películas de la época, mientras que la música de percusión y contrabajo de Harry Allouche anuncia inmediatamente la brutalidad de los personajes. Una película ambiciosa, pues, que utiliza el lenguaje cinematográfico para simbolizar su mensaje, con el color rojo sangre como leitmotiv, desde el título de la película y los capítulos hasta los instructivos créditos finales y la chaqueta del teniente.
Raphaël Sallenave