El Conde
Prix du Meilleur Scénario – Venise
2023
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Après « Jackie » et « Spencer », Pablo Larraín quitte les figures féminines mais reste avec celles du pouvoir et revient sur l’histoire de son pays avec un film de genre centré sur l’histoire et l’héritage du général Augusto Pinochet. Lauréat du Prix du scénario à la Mostra de Venise, le nouveau film du réalisateur chilien emprunte en effet au cinéma d’horreur pour dresser un puissant réquisitoire contre l’ex-dictateur présenté ici en vampire que son entourage appelle ‘El Conde’ (le comte). C’est une figure militaire égocentrique aveugle à l’étendue de ses crimes, un vampire vieillissant vieux déjà de 250 ans qui a usé de ses pouvoirs pour éradiquer le socialisme, les syndicalistes et les révolutionnaires à travers l’Histoire. Mais il ne supporte pas que l’on se souvienne de lui comme d’un voleur, sa famille se réunit alors pour discuter héritage alors qu’une comptable et nonne vient faire l’inventaire du capital de la famille Pinochet pour l’exorciser …
Pablo Larraín poursuit avec ce film sorti directement sur Netflix – 50 ans après l’arrivée au pouvoir de Pinochet – sa veine politique sur l’histoire chilienne après « No » et « Neruda », avec Gael Garcia Bernal notamment. Il livre cette fois une satire politique à la limite de la farce qui joue sur la symbolique du vampire buvant le sang de ses victimes où Pinochet représente la figure du fascisme mondial en reprenant en partie le mythe de Dracula et la figure du Diable. La question de l’héritage familial souligne les malversations et manipulations de la famille au pouvoir et sa profonde avidité. La métaphore du vampire illustre ainsi le sort réservé aux Chiliens sous son joug de 1973 à 1990, et la nature éternelle du vampire – qui ne meurt pas et ne disparaît donc jamais – illustre quant à elle les crimes et les vols d’un dictateur qui n’a jamais été confronté à une vraie justice et bénéficie donc d’une impunité ‘éternelle’. Et il va encore plus loin avec le rajeunissement des vampires qui figure la tendance de l’Histoire à se répéter.
« El Conde » est une fable macabre assez déroutante, une satire politique hautement symbolique et multilingue (Espagnol, Anglais, Français) qui s’avère un peu trop didactique et lente. La faute à un manque cruel d’enjeux pendant près des ¾ d’un film qui prend beaucoup de temps à présenter ses personnages et leur situation. Bien que le rythme s’accélère et l’intrigue devienne plus intéressante sur la fin, l’ensemble reste fastidieux et quelque peu assommant. Pourtant, le film n’est pas dénué de qualité avec quelques scènes intéressantes, avec une famille qui vit dans l’adoration de sa figure paternelle sur une île loin de tout à des années-lumière de la réalité sociale de son pays. La question de la postérité est par exemple très bien suggérée dans une scène où l’ex-dictateur pose fièrement entre les bustes des chefs d’Etat. Le choix de la photographie en noir et blanc est par ailleurs judicieux dans la mesure où il rappelle à la fois les classiques du cinéma de vampire mais donne également une certaine esthétique au film et une dimension onirique, d’autant qu’il permet de masquer la violence graphique et gore, et suggère le côté obscur de l’humanité qui y est dépeint.
Une œuvre métaphorique bien pensée mais qui laisse sur sa faim par son manque de développement narratif, et aurait clairement bénéficié d’une sortie en salles. Le réalisateur dorénavant connu pour ses biopics introspectifs, reviendra par ailleurs aux figures féminines iconiques avec son prochain film dès 2024 sur Maria Callas avec Angelina Jolie.
Raphaël Sallenave
{English below & Español al final}
Following “Jackie” and “Spencer”, Pablo Larraín moves away from female figures but stays with those of power, revisiting the history of his country with a genre movie centered on the history and legacy of General Augusto Pinochet. Winner of the Screenplay Prize at the Venice Film Festival, the Chilean director’s new film adopts horror cinema as the basis for a powerful indictment of the former dictator, portrayed here as a vampire known to his entourage as ‘El Conde’ (the Count). He’s an egocentric military figure oblivious to the extent of his crimes, an aging vampire already 250 years old who has used his powers to suppress socialism, unionists and revolutionaries throughout history. But he can’t bear to be remembered as a thief, so his family gathers to discuss inheritance, while an accountant and nun comes to survey the Pinochet family capital and exorcise him…
With this film released directly on Netflix – 50 years after Pinochet came to power – Pablo Larraín carries on his political theme of Chilean history after “No” and “Neruda”, starring Gael Garcia Bernal. This time, he delivers a political satire bordering on farce, using the symbolism of a vampire drinking the blood of his victims, in which Pinochet represents the figure of global fascism, in part borrowing from the myth of Dracula and the figure of the Devil. The question of family inheritance underlines the abuse and manipulation of the ruling family and its profound greed. The vampire metaphor illustrates the fate of Chileans under his yoke from 1973 to 1990, and the eternal nature of the vampire – which never dies and therefore never disappears – exemplifies the crimes and thefts of a dictator who has never faced real justice and therefore enjoys ‘eternal’ impunity. And he takes it a step further with the rejuvenation of the vampires, which illustrates history’s tendency to repeat itself.
“El Conde” is a rather confusing grim fable, a highly symbolic and multilingual (Spanish, English, French) political satire that proves a bit too didactic and slow. This is due to a severe lack of stakes for almost ¾ of the film, which takes a long time to establish its characters and their situation. Although the pace quickens and the plot gets more interesting towards the end, the whole thing remains tedious and somewhat dull. Yet the film is by no means bereft of qualities, with some interesting scenes featuring a family living in worship of their father figure on a remote island light-years away from the social reality of their homeland. The question of posterity, for example, is well evoked in a scene where the ex-dictator proudly stands between busts of heads of state. The choice of black-and-white photography is also a judicious one, reminiscent of classic vampire films, but also giving the film a certain aesthetic and dreamlike dimension, helping to conceal the graphic violence and gore, and hinting at the dark side of humanity depicted in the film.
A well-thought-out metaphorical movie, but one that leaves you longing due to its lack of narrative development, and would clearly have gained from a theatrical release. The director, now known for his introspective biopics, will get back to iconic female figures with his next film in 2024 about Maria Callas, starring Angelina Jolie.
Raphaël Sallenave
ESPAÑOL
Tras “Jackie” y “Spencer”, Pablo Larraín deja atrás las figuras femeninas pero se queda con las del poder, volviendo a la historia de su país con una película de género centrada en la historia y el legado del general Augusto Pinochet. Ganadora del Premio de Guión en el Festival de Venecia, la nueva película del director chileno toma prestado del cine de terror para hacer un poderoso descargo del ex dictador, presentado aquí como un vampiro conocido por su entorno como « El Conde ». Es un militar egocéntrico ciego ante la magnitud de sus crímenes, un vampiro envejecido que ya tiene 250 años y que ha utilizado sus poderes para erradicar el socialismo, los sindicalistas y los revolucionarios a lo largo de la historia. Pero no soporta ser recordado como un ladrón, así que su familia se reúne para hablar de la herencia, mientras una contable y monja viene a evaluar los bienes de la familia Pinochet y exorcizarlo…
Con esta película, estrenada directamente en Netflix – 50 años después de la llegada de Pinochet al poder – Pablo Larraín continúa su ciclo político sobre la historia de Chile tras “No” y “Neruda”, con Gael García Bernal. Esta vez se trata de una sátira política que linda con la farsa, jugando con el simbolismo del vampiro que bebe la sangre de sus víctimas, en la que Pinochet representa la figura del fascismo global, tomando prestado en parte el mito de Drácula y la figura del Diablo. La cuestión de la herencia familiar subraya la malversación y manipulación de la familia reinante y su profunda codicia. La metáfora del vampiro ilustra el destino de los chilenos bajo su yugo desde 1973 hasta 1990, y la eternidad del vampiro -que nunca muere y, por tanto, nunca desaparece- ilustra los crímenes y robos de un dictador que nunca se ha enfrentado a una auténtica justicia y que, por tanto, disfruta de una impunidad « eterna ». Y va más allá con el rejuvenecimiento de los vampiros, que ilustra la tendencia de la historia a repetirse.
“El Conde” es una fábula macabra bastante desconcertante, una sátira política altamente simbólica y políglota (español, inglés, francés) que resulta demasiado didáctica y lenta. Esto se debe a una profunda falta de interés durante casi ¾ partes de la película, que tarda mucho en presentar a sus personajes y su situación. Aunque el ritmo se acelera y la trama se vuelve más interesante hacia el final, la película sigue siendo tediosa y bastante aburrida. Sin embargo, la película tiene su punto de calidad, con algunas escenas interesantes, como la de una familia que vive adorando a su figura paterna en una isla alejada de la realidad social de su país. La cuestión de la posteridad, por ejemplo, está muy bien planteada en una escena en la que el ex dictador posa orgulloso entre bustos de jefes de Estado. La elección de la fotografía en blanco y negro también es acertada, ya que recuerda a los clásicos del cine de vampiros, pero también confiere a la película una cierta dimensión estética y onírica, sobre todo porque oculta la violencia gráfica y el gore, y sugiere el lado oscuro de la humanidad representado en la película.
Una obra metafórica bien concebida, pero carente de desarrollo narrativo, y que se habría beneficiado claramente de un estreno en salas. El director, conocido ahora por sus biopics introspectivos, volverá a las figuras femeninas icónicas con su próxima película en 2024 sobre Maria Callas, protagonizada por Angelina Jolie.
Raphaël Sallenave