La Grâce
Блажь (Grace)
Best directing – Belgrade
2021/2024
FR EN
Elle s’ennuie et veut voir la mer. Lui ne fait que conduire. Une fille et son père vagabondent en Russie, dans un van décrépi, au milieu de l’immensité. Un voyage en silence, fait de rencontres anonymes et passagères, tout en délicatesse et en poésie. « La Grâce » d’Ilya Povolotsky, c’est avant tout une errance contemplative au cœur de paysages oniriques et hors du temps ; mais comme son titre original, polysémique et intraduisible « Блажь », le long-métrage aborde et exprime bien d’autres choses.
Constitué quasi exclusivement de plans longs – d’au moins une minute –, « La Grâce » est un film méditatif : la caméra prend le temps de cadrer la totalité des environnements, naturels comme humains, qui l’entourent. Que ce soit par de lents zooms ou par des alanguis plans-séquences rotatifs, les images ainsi transmises nous plongent dans les plus authentiques des parages méconnus d’un pays que l’on découvre ou redécouvre au fil des kilomètres. L’on ne suit pas tant les personnages mais bien les terres où ils se fondent et qu’ils traversent en même temps que leurs pensées, dans une symbiose allégorique et absolue.
Et pourtant, sans jamais les connaître, l’on apprend à vivre avec ce père et cette fille dont on ne sait que peu de choses – pas même leur nom. Ils vivent ainsi depuis plus de quinze ans, aux côtés d’une urne funéraire, en vendant et en projetant des films à des populations isolées et désœuvrées. Cette torpeur se retrouve partout : dans les bâtisses abandonnées sur le front de mer, chez les enfants de langue balkar, parmi les hautes vallées adyguéennes, au milieu des steppes arides… Du Caucase à la Mer de Barents, le désenchantement semble s’installer dans un doux-amer decrescendo.
Avec un véritable grain – hérité d’un tournage sur pellicule qui crée des couleurs sorties de nos plus belles et étranges rêveries –, « La Grâce » a cette force de nous marquer, de nous émouvoir, de nous transmettre, sans rien nous dire. Loin d’avoir un seul message, le film nous envoûte et nous invite à réfléchir tant sur les notions d’attache que d’envie ou de liberté. Un conte fluide, moderne et atemporel.
She gets bored and wants to see the sea. All he does is drive. A girl and her father roam Russia, in a beat-up van, in the middle of the vast expanse. A journey in silence, made up of anonymous and fleeting encounters, all delicate and poetic. Ilya Povolotsky’s “Grace” is first and foremost a contemplative wander through dreamlike, timeless landscapes; but like its original, multi-layered and untranslatable title “Блажь”, the feature film addresses and expresses much more.
Made up almost exclusively of long shots – at least a minute long – “Grace” is a meditative film: the camera takes its time to frame the totality of the environments, both natural and human, that surround it. Whether through slow zooms or long, rotating uncut shots, the images conveyed in this way take us into the most authentic, unfamiliar parts of a country that we discover or rediscover as the miles go by. It’s not so much the characters we follow as the land in which they blend, and through which they travel along with their thoughts, in an absolute, allegorical harmony.
And yet, without ever getting to know them, we learn to live with this father and daughter about whom we know very little – not even their names. For over fifteen years, they’ve been living alongside a funeral urn, selling and showing films to isolated, idle populations. This torpor is to be found everywhere: in the abandoned buildings on the seafront, among the Balkar-speaking children, among the high Adyghe valleys, amid the arid steppes… From the Caucasus to the Barents Sea, disenchantment seems to settle into a bittersweet decrescendo.
With its authentic texture – inherited from shooting on film, which creates colors out of our most beautiful and strange daydreams – “Grace” has the power to impact us, to move us, to communicate to us, without telling us anything. Far from having a single message, the film mesmerizes us and invites us to reflect on notions of attachment, envy and freedom. This is a flowing, modern and timeless tale.