Napoléon
2023
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On ne peut s’empêcher de se demander (et rêver de voir) ce que le grand Stanley Kubrick aurait concocté d’un tel biopic sur l’une des plus célèbres figures militaires françaises avec son projet pharaonique qui ne vit malheureusement jamais le jour. Mais c’est bien Ridley Scott qui sort cette année un film sur Napoléon très critiqué et particulièrement en France.
Le réalisateur anglais avait pourtant réussi d’excellentes épopées historiques par le passé de « Kingdom of Heaven » au « Dernier Duel » en passant par le Maximus « Gladiator » dans lequel Joaquin Phoenix (Joker ; Her) jouait déjà Commode. L’acteur oscarisé est de retour à la tête d’un Empire aux côtés de Vanessa Kirby (Pieces of a Woman ; The Son ; Mission Impossible) dans ce qui s’impose plus comme une interprétation historique qu’un biopic réaliste de Bonaparte. Ridley Scott choisit ainsi de raconter la vie de Napoléon sous l’angle de sa relation avec Joséphine. “Sans elle il n’est rien”. D’où de francs succès portés par l’amour, des succès coûteux au divorce et une défaite une fois seul. Il s’intéresse ainsi plus à leur relation dysfonctionnelle qu’à son legs politique, plus à l’amant tourmenté qu’au mythe. Il montre un Napoléon humain, fragile et saugrenu.
Son film porte évidemment une dimension épique et s’impose comme un grand spectacle qui nous en met plein la vue lors des impressionnantes scènes de batailles (en particulier celle d’Austerlitz) dont les plans larges (qui auraient mérité d’être plus nombreux) nous plongent dans l’immensité des affrontements impériaux de l’époque entre centaines de milliers de fantassins. Il profite du giga-budget d’Apple Studios, près de $200M, pour nous offrir une multitude et une grande variété de costumes, de batailles terrestres, navales ou de cavaleries, des décors grandioses et une armée de figurants de plus de 10 000 hommes. Techniquement c’est donc très maîtrisé, narrativement, en revanche, beaucoup moins.
Même si l’on assiste bien au premier divorce de l’Empire, le film ne s’attarde pas sur les implications sous-jacentes et ne parle jamais des réformes politiques de l’époque qui ont pourtant un lien avec l’histoire de Napoléon. Soit. Mais toutes les personnalités politiques qui défilent, à l’instar de Tahar Rahim qui joue Barras, n’ont droit qu’à quelques scènes sans vraiment peser sur l’histoire de la figure centrale. En d’autres termes, il n’y a aucun second rôle tant ils sont tous relégués à de la figuration. D’autant que la transition entre les scènes de profonds changements historiques aux batailles épiques puis aux scènes conjugales manque de temps et de lien. Certes, c’est un problème qui peut être résolu dans la version de 4h qui sera prochainement disponible sur Apple TV+, mais toujours-est-il que la version cinéma en pâtit.
Dans la mesure où « Napoléon » se place dès sa première scène loin de l’objectif ‘100% réalisme historique’ et se réfère plutôt aux grands tableaux connus (comme le sacre de 1804 ou la bataille dite des Pyramides, même s’il omet le fameux Goya) il aurait peut-être mieux valu ne pas utiliser le nom du protagoniste comme titre ce qui suggère plutôt un récit fidèle. « Captain Bicorne » aurait alors pu être une bonne réinterprétation historique du personnage Napoléon. Pourquoi ne pas alors accentuer cela et en profiter pour créer des relations plus développées entre les personnages comme par exemple avec son officier en second. Si ce personnage avait été le même tout au long du film, cela aurait pu créer une relation intéressante, nourrir la personnalité de l’Empereur ainsi que les évolutions de l’armée et à travers elles, celles du pays également en le nommant sur la fin du film Maréchal de l’Empire. Son sacrifice aurait alors plus de poids.
Par ailleurs, même le côté épique – pourtant réussi techniquement – reste mitigé tant il est balancé par le fatalisme du film visible aussi bien dans son étalonnage aux couleurs ternes que dans sa conclusion mortifère ou le ridicule dans lequel il tourne parfois son personnage. « Napoléon » navigue en fait difficilement entre le biopic historique montant une figure militaire sur un piédestal et une satire du personnage entre piètre mari, petit homme et chef sanguinaire. Le film pousse tellement cette dimension critique/comique qu’il est à la fin difficile de la concilier avec le reste du récit très sérieux. Au final, on se retrouve alors avec d’une part une épopée historique spectaculaire et de l’autre une interprétation intéressante mais infructueuse de la figure napoléonienne.
Le film de Ridley Scott a donc le mérite d’oser partir aux antipodes de l’hagiographie mais reste totalement dépourvu d’approche politique et s’avère finalement moins impressionnant que sa mise en scène pourrait le suggérer. Dans l’ensemble, il manque de fond et de saveur.
Raphaël Sallenave
We can’t help but wonder (and fantasize over) what the great Stanley Kubrick would have come up with for such a biopic on one of France’s most famous military figures, with his massive project that unfortunately never saw the light of day. But it’s Ridley Scott who’s releasing a film about Napoleon this year, subject to much criticism, particularly in France.
The English director had previously made a number of excellent historical epics, from “Kingdom of Heaven” to “The Last Duel” as well as “Gladiator”, in which Joaquin Phoenix (Joker; Her) already played Commodus. The Oscar-winning actor is back at the helm of an Empire, alongside Vanessa Kirby (Pieces of a Woman; The Son; Mission Impossible), in what feels more like a historical interpretation than a truthful biopic of Bonaparte. Ridley Scott chooses to tell the story of Napoleon’s life through the eyes of his relationship with Josephine. « Without her, he’s nothing »: hence the big love-driven successes, the costly successes in divorce, and the defeat once alone. He is thus more interested in their flawed relationship than in his political legacy, and more interested in the tormented lover than in the myth. He shows a human Napoleon, fragile and ludicrous.
His movie obviously takes on an epic scale, and stands out as a great spectacle, with impressive battle scenes (particularly Austerlitz) whose wide shots (more of which would have been nice) bring us into the immensity of imperial warfare at the time, involving hundreds of thousands of infantrymen. He takes full benefit of Apple Studios’ gigantic budget (close to $200M) to bring us a multitude and variety of costumes, land, sea and cavalry battles, stunning sets and an army of extras over 10,000 strong. Technically, it’s a masterpiece, but narratively, much less so.
Although we do witness the Empire’s first divorce, the film doesn’t dwell on the underlying implications, and never mentions the political reforms of the time, which did have something to do with Napoleon’s story. So be it. But all the political characters who appear in the film, including Tahar Rahim and Ben Miles, are given only a few scenes, without any real bearing on the story of the leading figure. In other words, there are no supporting characters, as they are all relegated to the role of extras. What’s more, the transition from scenes of sweeping historical change to epic battles and then to marital scenes lacks time and connection. Admittedly, this is an issue that can be addressed in the 4-hour version soon to be available on Apple TV+, but the theatrical release does suffer from it.
Insofar as “Napoleon”, from its very first scene, is far from aiming towards a « 100% historical realism », and refers instead to famous paintings (such as the 1804 coronation or the Battle of the Pyramids, although it leaves out the famous Goya), it might have been better not to use the protagonist’s name as a title, as this suggests a more faithful narrative. « Captain Bicorne » or something, could then have been a good historical re-envisioning of the Napoleon character. Why not then, take it a step further and create more developed relationships between the characters, such as for example with his second-in-command. Had this character been the same throughout the whole film, it could have created an interesting relationship, nurtured the emperor’s personality and the evolution of the army, and through this, that of the country as well, by appointing him Marshal of the Empire at the end of the film. His sacrifice would then have a greater impact.
Besides, even the epic quality of the film – technically successful as it is – remains mixed, so much so that it is offset by the film’s fatalistic approach, reflected in its dull color scheme, its deadly conclusion and the ridiculousness with which it sometimes portrays its character. In fact, “Napoleon” treads a fine line between a historical biopic putting a military figure at the top of his game and a satire of the character as a poor husband, a little man and a bloodthirsty leader. The film takes this critical/comic dimension so far that, ultimately, it’s hard to reconcile it with the rest of the very serious story. In the end, we’re left with a spectacular historical epic on one hand, and an interesting but failed exploration of the figure of Napoleon on the other.
Ridley Scott’s movie does dare to go against conventional eulogy, but remains totally devoid of any political perspective, and is ultimately less impressive than its direction might suggest. Overall, it lacks substance and flavor.
Raphaël Sallenave