Le Ravissement
(The Rapture)
2023
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Pour son premier long-métrage, Iris Kaltenbäck signe une fiction singulière d’une finesse rare dans une ambiance aux couleurs saturées et une image savamment floue. C’est une histoire de fou mais profondément touchante qui déploie une force captivante nous plongeant dans le parcours d’une femme à la fois forte et fragile.
C’est le portrait de Lydia, une sage-femme consciencieuse et investie dans un travail qu’elle aime, vivant à Paris et qui a pour seule famille sa meilleure amie Salomé. Entre elles, c’est le jour et la nuit, elles travaillent d’ailleurs à des heures différentes, l’une est spontanée et bavarde quand l’autre est secrète et plus opaque. Lorsque Lydia s’enferme dans une spirale de mensonges, elle y embarque ses proches, complices malgré eux d’une fiction à laquelle ils veulent certes croire mais qui leur est imposée. Inexorablement, la scénariste et réalisatrice nous conduit vers la catastrophe par petites touches : on nous donne à voir tous les signes avant-coureurs tout en les ignorant. C’est la force d’un scénario de qualité qui opte pour un schéma intéressant avec une voix-off d’un homme ayant connu Lydia et retraçant l’historique des événements. L’intrigue est par conséquent racontée avec la distance du passé rendant les images à la fois indécises et déterminantes.
Au-delà du style très épuré, Iris Kaltenbäck choisit aussi le réalisme avec une précision quasi-documentaire sur certaines scènes comme l’accouchement compliqué et difficile de Salomé, véritable épreuve physique pour les personnages et les spectateurs. L’emploi de la musique est par ailleurs toujours à propos dans une mise en scène qui privilégie l’humain avec des personnages aux ressentis ambigus brillamment interprétés par Alexis Manenti (Les Misérables ; Athena), Nina Meurisse (qui aura joué des rôles bien différents cette année avec Cœurs Noirs ; BRI ; Les Algues Vertes) et Hafsia Herzi (Mektoub My Love ; Bonne Mère) qui livre une grande performance dans le rôle pas facile d’une femme vivant la maternité par procuration.
C’est un personnage qui ne perd jamais en lucidité malgré ses égarements, un personnage plein d’ambivalences qui font justement sa beauté. Hafsia Herzi lui donne un mystère et fascine par sa présence parvenant à nous déboussoler. Elle nous emporte avec un silence, un sourire laconique, ou un regard dont les paupières sont lourdes d’un vécu qu’on ignore.
« Le Ravissement » aborde plusieurs thèmes de l’obsession au déni du chagrin, en passant par la solitude urbaine. C’est un film d’interactions sur la rencontre d’un mensonge, la complexité de l’âme humaine, et le rapport ambigu à la maternité et la culpabilité. C’est le portrait d’une femme tiraillée par son besoin d’amour, sa solitude enfouie, et son refus d’externalisation (que ce soit se livrer à une amie ou appeler à l’aide).
C’est un film à la fois perturbant et magnifique, un thriller intime qui maintient une tension permanente et réussit à créer de la compassion pour sa protagoniste pour qui les instants de bonheur volé à ceux qui l’entourent semblent valoir la peine. Tel un bébé, le film offre une dose de plaisir pour deux. Porté par une Hafsia Herzi poignante, « Le Ravissement » s’impose comme l’acte de naissance d’une grande cinéaste.
Raphaël Sallenave
For her first feature film, Iris Kaltenbäck delivers a singular drama of rare finesse, in a mood of saturated colors and subtly blurred pictures. It’s a crazy but deeply touching story that unfolds with captivating force, taking us on the journey of a woman who is both strong and fragile.
It’s the story of Lydia, a dedicated midwife who loves her job and lives in Paris, where her only family is her best friend Salomé. Between them, it’s night and day, in fact they work different hours, one is spontaneous and talkative while the other is secretive and more tight-lipped. When Lydia gets caught up in a spiral of lies, she drags her relatives along with her, unwilling accomplices in a fiction they may want to believe, but which is forced upon them. Inexorably, the writer/director steers us towards the point of collapse in small steps, as we see all the warning signs while ignoring them. This is the strength of a fine screenplay, which adopts an interesting approach with a voice-over by a man who knew Lydia, retracing the course of events. As a result, the plot is told from the distance of the past, making the images both indecisive and crucial.
Besides her streamlined style, Iris Kaltenbäck also favors realism, with an almost documentary precision in certain scenes, such as Salomé’s complicated and difficult delivery, a real physical trial for the characters and the audience. The use of score, moreover, is always appropriate in a style that focuses on the human element, with ambiguous characters brilliantly played by Alexis Manenti (Les Misérables; Athena), Nina Meurisse (who will have played very different roles this year with Dark Hearts; BRI; Les Algues Vertes) and Hafsia Herzi (Mektoub, My Love; Good Mother), who gives a terrific performance in the challenging role of a woman living motherhood by proxy.
This is a character who never loses her lucidity despite her wanderings, a character full of ambivalence, which is precisely what makes her so beautiful. Hafsia Herzi gives her mystery and fascinates with her presence, managing to throw us off balance. She captivates us with a silence, a laconic smile, or a glance whose eyelids carry the weight of an unknown past.
“The Rapture” tackles a number of themes, from obsession to the denial of grief as well as urban loneliness. It’s a movie about interactions, the encounter with a lie, the complexity of the human soul, and the ambiguous relationship to motherhood and guilt. It’s the portrait of a woman torn by her need for love, her hidden loneliness, and her refusal to externalize (whether that means opening up to a friend or calling for help).
It’s a film that’s both unsettling and beautiful, an intimate thriller that keeps the tension alive and manages to create compassion for its protagonist, for whom the moments of happiness stolen from those around her seem worthwhile. Just like a baby, the movie offers a healthy dose of joy for two. Carried by a gripping Hafsia Herzi, “The Rapture” stands out as the act of birth of a great filmmaker.
Raphaël Sallenave