Rsg Production

Toxic

 
Akiplėša
 
Léopard d’Or (Best Film) – Locarno
Best First Film – Locarno
Best Feature Film – Trieste

2024/2025

FR                   EN

 

Marija, treize ans, est confiée par une mère jamais présente (toujours maintenue en hors-champ) à sa grand-mère au fin fond de la campagne lituanienne. D’entrée, les autres filles se moquent d’elle parce qu’elle boite, parce que son maillot fait trop gamine, bref pour une raison ou une autre mais toujours une question d’apparence ! Une telle scène d’ouverture pourrait suggérer un film sur les tensions entre adolescentes et le harcèlement, mais très vite ces tensions sont outrepassées pour s’attaquer aux rêves des filles du coin de quitter cette petite ville minière et partir quelque part … ailleurs !  Une école de mannequins vaguement louche où le tour de cuisse impose sa loi représente alors l’occasion pour ces filles de saisir leur chance dans ce monde loin de tout où la beauté peut faire voyager jusqu’au Japon.

Pour son premier film la jeune réalisatrice lituanienne Saulė Bliuvaitė signe un film qui aborde cette période bouleversante entre l’enfance et l’adolescence où le corps change. Oui c’est un film sur le corps et le mannequinat, mais surtout sur une communauté paumée et plus précisément sur une fille paumée dans cette communauté. Si les personnages sont en marges de la société, la marginalité n’est – elle – jamais le sujet. C’est bien plus un film sur l’amitié et l’imperfection où les promesses d’une vie meilleure poussent certes à brutaliser son corps, mais aussi à gagner en confiance en soi, en camaraderie et en complicité. Car le cœur de « Toxic » se trouve dans l’évolution de la relation entre ces deux jeunes filles qui promènent partout un air maussade, déjà désillusionnées.

« Toxic » c’est le rêve du beau à l’horizon Tchernobyl. Les tons ternes et grisâtres du paysage industriel désolé contrastent ainsi fortement avec les vêtements et les aspirations de ces filles qui rêvent d’échapper à la morosité de leur quartier. La toxicité du titre international renvoie ainsi non seulement au vide environnant qui empoisonne (l’imaginaire de) cette jeunesse, mais aussi au rapport au corps dans la mesure où chaque personnage a une sorte de ‘défaut’ physique ou du moins considère en avoir (fille géante ; mains tremblantes). C’est donc un monde plein d’imperfections qui se confronte à celui de la perfection par essence : le mannequinat.

Mais ce n’est pas un film sur des top-modèles, il n’y a aucune dimension voyeuriste puisque la réalisatrice crée une certaine distance avec ses protagonistes y compris dans l’image avec des plans larges, parfois lointains, où les personnages sont à peine dans le cadre. Si c’est un film conçu avec certes peu de moyens, les plans sont en revanche très réfléchis avec un choix unique de plans fixes dans des cadres parfois atypiques et où l’on perd à d’autres moments les personnages dont l’action se déroule en arrière-plan ce qui rend l’environnement autant sujet de la scène que ses personnages. C’est ainsi un film qui joue sur le vide de certains plans (visuellement), voire de certaines scènes (narrativement) pour souligner ce ‘cadre’ toxique. Mais ce vide de l’environnement qui sert aussi le propos du film, ne permet pas toujours de créer une histoire prenante ou très émouvante.

« Toxic » est un film porté par les superbes performances des actrices débutantes Vesta Matulyté & Ieva Rupeikaité, et une atmosphère de rudesse authentique avec quasiment zéro musique. C’est un film sensible, lent, et délicat sur des fragments de vie, de sensations jetées sur l’écran de manière assez brute où les corps parlent et expriment souffrance, solitude et espoir. En somme, un film à fleur de peau ?

Raphaël Sallenave

 

Thirteen-year-old Marija is left with her grandmother deep in the Lithuanian countryside by her mother, who is never present (always kept out of frame). From the outset, the other girls make fun of her because she has a limp, or because her bathing suit is too childish – in short, for one reason or another, but always a matter of appearance! Such an opening scene might suggest a film about teenage drama and bullying, but it’s not long before these tensions are overtaken by the local girls’ dreams of leaving this small mining town and going somewhere… elsewhere!  A vaguely shady modeling school, where thigh size is everything, then represents an opportunity for these girls to seize their chance in this far-flung world, where beauty can take you all the way to Japan.

For her first feature film, the young Lithuanian director Saulė Bliuvaitė makes a film that deals with that overwhelming period between childhood and adolescence when the body changes. Yes, it’s a film about the body and modeling, but above all it’s about a lost community and, more specifically, a lost girl in that community. While the characters are on the fringe of society, marginality is never the theme. It’s much more a film about friendship and imperfection, where the promise of a better life leads to the brutalization of the body, but also to greater self-confidence, companionship and complicity. For the heart of “Toxic” lies in the evolution of the relationship between these two young girls, who are already looking sullen and disillusioned.

“Toxic” is the dream of beauty on the Chernobyl horizon. The dull, grayish tones of the desolate industrial landscape contrast sharply with the clothes and aspirations of these girls who dream of escaping the gloom of their neighborhood. The toxicity of the international title thus refers not only to the surrounding emptiness that poisons (the imaginations of) these young people, but also to the relationship with the body insofar as each character has some sort of physical ‘flaw’ or at least considers themselves to have one (giant girl; trembling hands). So, it’s a world full of imperfections that comes face to face with the ultimate world of perfection: modeling.

But this isn’t a film about supermodels, and there’s no voyeuristic dimension, since the director creates a certain distance from her protagonists, including in the frame, with wide, sometimes distant shots where the characters are barely in the frame. Although the film’s resources are admittedly limited, the shots are very well thought-out, with a unique choice of still shots in sometimes atypical frames, where at other times we lose the characters, whose action takes place in the background, making the environment just as much the focus of the scene as its characters. It’s a film that draws on the emptiness of certain shots (visually), and even certain scenes (narratively), to underline this toxic “milieu”. However, this emptiness of the environment, which also underlines the film’s purpose, doesn’t always make for a gripping or very moving story.

“Toxic” is a movie driven by wonderful performances from first-time actresses Vesta Matulyté & Ieva Rupeikaité, and an atmosphere of authentic harshness with almost zero music. This is a sensitive, slow, delicate film about fragments of life, sensations thrown onto the screen in a fairly raw way, where bodies speak and express suffering, solitude and hope.

Raphaël Sallenave

Sweat
Diamant Brut