Rsg Production

Au Pays de nos Frères

 
In the Land of Brothers
 
Grand Jury Prize – Sundance
New Talent Award – Kong-Kong
Grand Prix  –  Saint-Jean-de-Luz
Prix du Public – Pessac

2025

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Ce titre poétique évoque le nom donné par les Afghans au pays voisin, l’Iran, terre de fraternité pour aujourd’hui sept millions d’Afghans, en situation régulière ou non. Partageant souvent la même culture et la même langue (dari/farsi), l’Iran est en effet devenu la plus importante terre d’exil pour la population afghane dès 1980 suivant l’invasion soviétique. Puis ces mobilités ont continué dans les années 1990 lors de la guerre civile (1992-1996) et l’installation des Taliban (1996-2001) avant de s’intensifier à nouveau depuis leur retour (2021). Les conditions de vie de ces réfugiés afghans en Iran se caractérisent par une grande précarité au niveau juridique, économique et social. Ils ne sont pas autorisés à posséder de biens immobiliers ou de véhicules, sont limités dans leurs activités professionnelles (souvent dans des métiers difficiles), et sont assignés à une province sans grande possibilité de voyager. Et même si au fil du temps les générations ont appris à contourner ces contraintes, la situation s’est progressivement détériorée ces dernières années dans l’indifférence de la société iranienne (et de la communauté internationale).

Le but premier de ce film est donc avant tout de mettre en lumière la condition des réfugiés afghans en Iran – ce qui représente une perspective rarement vue au cinéma, pour ne pas dire unique. Mais « Le Pays de nos Frères » a aussi une portée beaucoup plus universelle dans son exploration de l’expérience des populations immigrées. C’est donc un film sur l’immigration qui n’est finalement pas si spécifique au contexte iranien – contrairement à la majorité des films sociaux qui nous viennent de la République persane – et dont l’étude des discriminations, de la maternité, et de l’altérité homme-femme résonnera pour de nombreuses communautés déplacées, en particulier dans une période où le nationalisme gagne la planète entière.

Si au départ, l’intrigue semble nous embarquer dans une histoire d’amour impossible entre familles d’immigrés (pour raisons religieuses et sociales), il n’en est rien, l’histoire basculant dans un tableau de l’immigration afghane suivant trois récits qui se croisent et s’entremêlent subtilement en mêlant avec sincérité une histoire intime et politique. Le film se déroule ainsi sur vingt ans depuis les lendemains du 11 septembre à la guerre menée contre Daech autour de protagonistes qui deviennent tour à tour personnages principaux et secondaires. Cette construction en trois actes reflète non seulement les trois vagues de migrations afghanes vers l’Iran, mais évoque aussi trois dimensions de la question : la répression arbitraire, l’asservissement économique, et l’exploitation politique. Si chaque chapitre est ainsi distinct, ils tissent néanmoins un fil conducteur thématique commun. Et c’est bien ce qui relie ces trois histoires qui s’impose comme le sujet central et s’avère bouleversant, car « Au Pays de nos Frères » est in fine un film sur l’écran de fumée ou de normalité que s’impose cette communauté d’immigrés que ce soit par honte envers sa propre famille, par peur de la perception des autres, ou plus dangereusement des conséquences judiciaires pour les siens – qui font ainsi communauté en partageant ces sentiments intériorisés.

Les deux réalisateurs Alireza Ghasemi & Raha Amirfazli – désormais eux-mêmes exilés (l’une à New-York et l’autre à Paris) car ne souhaitant pas soumettre leur film au bureau de la censure – signent ici un premier long-métrage plein de nuances et de silences qui disent beaucoup sur une société iranienne où il est nécessaire de mentir. C’est pourquoi l’histoire n’exprime pas tout frontalement. D’une part le sujet est moins ce que les personnages ne s’avouent pas que le fait qu’ils n’osent pas le faire, et d’autre part cela permet aussi de jouer sur la puissante créativité de l’inconscient du spectateur.

C’est un magnifique film touchant – dont le dernier jour de tournage a d’ailleurs coïncidé avec la mort de Mahsa Amini – qui fait doucement grimper l’émotion avec une double progression narrative (entre la condition des réfugiés, et les secrets qu’ils se doivent de garder et de cacher) qui s’oppose dans la conclusion pour créer un effet dévastateur. C’est d’ailleurs un film qui joue sur les oppositions de tons que ce soit dans les actions (lors d’une fête), dans les décors (avec la cohabitation d’un cadre bourgeois et d’une situation d’extrême précarité), ou dans les images (des plaines hivernales aux teintes printanières). Et c’est avant tout une étude de personnages, dénuée de sensationnalisme, qui respecte leur dignité et portée par de remarquables performances de Bashir Nikzad, Mohammed Hosseini et d’une impressionnante Hamideh Jafari qui ont tous trois nourri ces rôles de leurs propres parcours.

Raphaël Sallenave

 

This poetic title refers to the name given by Afghans to the neighboring country of Iran, a land of fraternity for seven million Afghans, both legal and illegal. Often sharing the same culture and language (Dari/Farsi), Iran became the most important land of exile for the Afghan population as early as 1980, following the Soviet invasion. This migration continued in the 1990s during the civil war (1992-1996) and the Taliban’s takeover (1996-2001), before increasing again since their return (2021). The living conditions of these Afghan refugees in Iran are highly precarious in legal, economic and social matters. They are not allowed to own property or vehicles, are restricted in their professional activities (often in difficult jobs), and are assigned to a province with little opportunity to travel. And even though the generations have learned to get around these constraints over time, the situation has gradually deteriorated in recent years, to the indifference of Iranian society (and the international community).

The film’s primary goal is therefore to shed light on the condition of Afghan refugees in Iran – a dimension rarely seen in cinema, if not never before. But “In the Land of Brothers” also has a much more universal scope in its exploration of the immigrant experience. It is therefore a film about immigration that is not that specific to the Iranian environment – unlike most social films that hail from the Persian Republic – and whose study of discrimination, motherhood, and male-female alterity will resonate with many displaced communities, particularly at a time when nationalism is spreading across the globe.

At first, the plot seems to take us into a story of impossible love between immigrant families (for religious and social reasons), but this is far different, as the story shifts to a panorama of Afghan immigration, following three narratives that subtly intersect and intertwine in a heartfelt blend of intimacy and political issues. The film then unfolds over twenty years, from the aftermath of 9/11 to the war waged against ISIS, around protagonists who alternately turn into main or supporting roles. This three-act structure not only mirrors the three waves of Afghan migration to Iran, but also suggests three dimensions of the issue: systematic repression, economic subjugation and political manipulation. While each chapter is thus self-contained, they nevertheless weave a common thematic thread. And it’s what ties these three stories together that stands out as the central theme and proves deeply moving, for “In the Land of Brothers” is ultimately a film about the smokescreen or veil of normalcy that this immigrant community lays over itself, whether out of shame towards its own family, out of fear of how others will perceive it, or more perilously out of concern for the legal fallout for its own people – who thereby forge a community by sharing these deep-seated feelings.

The two directors Raha Amirfazli & Alireza Ghasemi – now themselves in exile (one in New York and the other in Paris) because they did not wish to submit their film to the censorship board – craft a first feature full of nuances and silences that say a lot about an Iranian society where it is vital to lie. That’s why the story doesn’t deal with everything head-on. On the one hand, the point is less what the characters don’t admit to each other than the fact that they don’t dare to, and on the other, it also lets us tap into the powerful creativity of our subconscious.

This is a beautiful, touching film – whose last day of shooting actually coincided with Mahsa Amini’s death – that slowly builds up the emotion with a double narrative development (between the condition of the refugees, and the secrets they have to keep and hide) that collides in the conclusion to devastating effect. It’s also a film that draws on tonal contrasts, whether it is in the activities (during a party), in the settings (with the mixing of a bourgeois set and a highly precarious life), or in the visuals (from wintry plains to springtime hues). And above all, it’s a character study, devoid of sensationalism, that respects the dignity of its characters, and is driven by outstanding performances from Bashir Nikzad, Mohammed Hosseini and a truly impressive Hamideh Jafari, all of whom have nurtured these roles from their own experiences.

Raphaël Sallenave

Chroniques de Téhéran
Fremont