Rsg Production

Chroniques de Téhéran

 
Ayeh haye zamini – آیه های زمینی 
(Terrestrial Verses)

2023/2024

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Alors que deux très bons films iraniens sont actuellement en salles, revenons sur une autre production qui nous vient de la République islamique persane qui est sorti sans faire trop de bruit en mars dernier, et désormais disponible en VOD.

« Chroniques de Téhéran » est une œuvre qui nous happe dès ses premières minutes par sa forme singulière : c’est une collection de vignettes toutes tournées dans un cadre 4/3 serré, et en plan fixe sans discontinu. C’est une série de confrontations entre des citoyens iraniens et des représentants d’une autorité (qu’elle soit scolaire, sanitaire ou autres) et c’est donc une succession de plans-séquences qui nous plonge dans la réalité des faits où le concitoyen est cadré en plan moyen quand l’interlocuteur du régime est lui en hors-champ. On ne voit alors que la réaction des concitoyens face aux lois, aux restrictions et aux obligations du régime. Et on se retrouve, de fait, du côté du régime puisqu’à chaque fois que l’incriminé s’adresse à son autorité, il nous prend à témoin à travers la caméra. On ne voit jamais le régime, nous le sommes et le devenons (jusqu’à la dernière scène) … le geste est implacable.

Cette galerie de vignettes est un dispositif qui pourrait paraître répétitif mais « Chroniques de Téhéran » reste un moyen-métrage et donc suffisamment court pour que le rythme d’une succession d’histoires comme celle-ci ne devienne frustrant. Au contraire avec ces scènes complètement déconnectées les unes des autres (et presque jamais résolues), cela crée une image globale très percutante et accentue l’impression d’une mécanique froide, comme une radiographie du quotidien iranien. C’est évidemment un film à charge, mais qui reste donc très subtil dans son traitement pour ausculter la violence ordinaire d’un tel régime où ironiquement et symboliquement l’autorité est ici invisible. Il dépeint l’absurdité et la rigidité d’un système où les autorités ne cherchent jamais vraiment à aider leurs concitoyens mais plutôt à les enfermer dans un moule sans trop savoir pourquoi ni comment.

Cette forme très originale offre donc non seulement une illustration synthétique et symbolique de la société, mais tient aussi plus simplement d’une nécessité politique. En effet, présenté en mai 2023 à Cannes dans la sélection ‘Un Certain Regard’, ce film naît justement du contrepied pris par le duo Ali Asgari et Alireza Khatami face aux obstacles érigés par le régime. Quand le second se voit refuser son nouveau projet, il décide alors d’autofinancer ce nouveau film et de le tourner dans l’urgence en sept jours sous la forme de neuf histoires, neuf dialogues, avec neuf acteurs différents (sans leur révéler qu’il s’agit d’un même projet) puisqu’en Iran, les courts-métrages ne sont pas soumis à une autorisation préalable de tournage.

Ce n’est donc pas une production d’exil, mais c’est tout autant critique (avec en plus la malice de contournement de l’objet justement critiqué). C’est une œuvre qui sonne juste et s’impose avant tout comme symbolique à l’image de sa dernière séquence qui change complètement de registre par rapport aux neuf chroniques précédentes en renversant pour une seule fois le point de vue. A travers un changement de cadre – plus élargi, où le représentant de l’Etat se retrouve bien seul par opposition au cadre précédent qui enfermait jusqu’ici sa population – et une absence de réaction, le film conclut ainsi sur un régime qui ne change pas et ne changera jamais (à l’horizon séculaire) pas même ébranlé par une crise ou un tremblement de terre où l’on pourrait même y voir l’analogie évoquée plus tôt avec l’arsenal nucléaire …

Raphaël Sallenave
 

While two very good Iranian films are currently in theaters in France, let’s take a look back at another production from the Persian Islamic Republic, released quietly a few months back.

“Terrestrial Verses” grabs us from its very first minutes with its singular form: it’s a collection of vignettes, all shot in a tight 4:3 frame, and in fixed, uninterrupted shots. It’s a series of confrontations between Iranian citizens and representatives of an authority (whether school, health or other), and so it’s a series of oners that bring us into the reality of the situation, where the fellow citizen is framed in medium shot while the regime’s spokesperson is off-screen. All we see is the reaction of the citizens to the regime’s laws, restrictions and requirements. And we find ourselves, de facto, on the regime’s side, since every time the individual in question addresses his authority, he makes us his witness through the camera. We never see the regime, we stand for it and become it (until the very last scene) … the act is remarkable.

This collection of scenes may seem repetitive, but “Terrestrial Verses” remains a medium-length film, and is therefore short enough to prevent the pace of a series of stories like this from becoming frustrating. Instead, with these scenes completely disconnected from each other (and almost never fully resolved), it creates a very striking overall picture and enhances the feeling of a cold process, like an X-ray of everyday Iranian life. It’s obviously a highly critical film, but one that remains very subtle in its approach to the ordinary violence of such a regime, where, ironically and symbolically, authority is invisible. It depicts the absurdity and rigidity of a system where the rulers are never really interested in helping their fellow citizens, but rather in fitting them into a mold without really knowing why or how.

This highly original approach offers not only a synthetic and symbolic depiction of society, but also, more simply, reflects a political necessity. Presented in May 2023 at Cannes in the ‘Un Certain Regard’ selection, this film was born of the reversal of course taken by the duo Ali Asgari and Alireza Khatami in the face of the hurdles set up by the regime. When Khatami’s new project was rejected, he decided to finance this new one himself and shoot it in seven days, as nine stories, nine dialogues, with nine different actors (without revealing to them that it was the same project), since in Iran, short films are not subject to prior authorization.

So, this is not a production from exile, but it is just as sharply critical (with the added guile of circumventing the very thing being criticized). It’s a film that rings true, and is above all symbolic, as demonstrated by its final sequence, which completely shifts the focus from the previous nine chronicles, reversing the point of view for once. Through a change of aspect ratio – more open, where the representative of the state finds himself quite alone, as opposed to the previous frame which up until now confined his population – and a lack of response, the film thus concludes on a regime that does not change and will never change (on the secular horizon), not even shaken by a crisis or an earthquake, where we could even draw the analogy mentioned earlier with the nuclear arsenal…

Raphaël Sallenave
Les Graines du Figuier Sauvage
Tatami