Rsg Production

Joker : Folie à Deux

 

2024

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Joker ou l’idole malgré lui …
 

C’est incontestablement, et ça restera très certainement, la grosse déception de l’année pour une immense majorité du public ainsi que pour le studio ! Une immense déception due au fait que le film ne réponde pas aux attentes : ni celles du public, ni celles d’un studio qui va se retrouver avec près de $200M de déficit sur une telle production. C’est donc définitivement un film subversif où les attentes (majoritaires) du public ne sont pas remplies. Mais est-ce vraiment un problème ? Et cela fait-il vraiment de « Joker 2 » un mauvais film ou simplement une suite frustrante ? Car si « Folie à deux » n’était pas une suite, serait-il aussi décrié ?

En 2019, Todd Philips prenait déjà un risque avec le premier « Joker » en s’aventurant sur un film solo (sans Batman ou autres personnages des comics) et surtout sans la célèbre figure d’antagoniste nihiliste de son personnage-titre. Le film avait alors surpris tout le monde en remportant à la fois le Lion d’Or à Venise (ce qui est extrêmement rare pour un blockbuster hollywoodien de la sorte), en ayant conquis le public avec plus d’un milliard de recettes, et en reportant deux Oscars l’un pour sa compositrice Hildur Guðnadóttir et l’autre pour son acteur principal Joaquin Phoenix (deuxième acteur récompensé d’un Oscar pour le même rôle). Même si elle n’était pas prévue initialement, on peut donc comprendre la volonté de faire une suite, mais ce désir né de la réussite du premier opus renseigne beaucoup la nature même de cette suite et de sa perception par le public. Car « Folie à deux » est très critiqué pour son manque de développement au-delà de l’arc du personnage dans le premier opus, voire pour son revers narratif. Or, même s’il est vrai qu’avec plus de trois fois plus de budget, on aurait pu s’attendre à plus de ‘folie’, « Joker 2 » boucle bel et bien l’histoire du premier film mais de manière audacieuse quitte à surprendre, voire décevoir.

Il faut en effet saluer l’ambition artistique de vouloir à la fois changer de ton et de genre pour une suite – qui plus est, parmi les plus attendues de l’année – alors que dans l’immense majorité des cas (trop souvent pourrait-on dire ?) les suites de saga visent avant tout à perpétuer le statu quo. Et dans la mesure où le premier opus allait déjà à contre-courant des univers connectés de comics et de super-héros à la MCU ou DCU, on peut logiquement comprendre la volonté de poursuivre cette direction novatrice pour sa suite.

Or, avec un premier opus dont le message n’avait pas été pris de la même manière par tous, certains y voyant une dimension épique ou une construction de la figure mythique des comics, beaucoup s’attendaient à une poursuite du développement du personnage de joker. Mais son apogée a pourtant été atteinte à la fin du premier film, et cette suite ne se concentre donc pas sur le mythe du joker mais plutôt sur le personnage d’Arthur Fleck. Derrière son ton surprenant, se cache donc une structure très classique : celle de l’ascension d’une icône dans le premier opus, puis sa chute dans le second. Ce n’est donc pas une suite qui pousse le curseur de la violence plus loin ou qui met en scène la réémergence du Joker car celle-ci ne se fait qu’à travers les yeux de Lee (d’où la ‘folie à deux’).

On est donc dans la situation inverse des comics où habituellement c’est Harley Quinn (alias Lee ici) qui est dépendante du Joker. Or il n’y a plus véritablement de Joker dans ce film, il a été arrêté dans le précédent, et quand on le retrouve il a vieilli et n’est plus que l’ombre de lui-même, recroquevillé, hébété par les médicaments, d’une maigreur effrayante. Lorsqu’un garde de prison l’encourage à sortir une blague, rien ne vient. Il a beau essayer, il n’arrive pas à retrouver son fameux rire jaune qui finit par se confondre en profond chagrin. Qui est donc présent : le Joker ou Arthur Fleck ? Est-il fou ou joue-t-il au fou ? A travers son procès et son avocate, le film questionne l’idée de la double personnalité et cette dualité se retrouve dans le titre et jusque dans la palette de couleurs naviguant entre la froideur de ses bleus et la chaleur de ses jaunes. La petite introduction animée de Sylvain Chomet résume d’ailleurs à elle seule la dualité du film.

Mais « Folie à deux » renvoie aussi au duo au cœur de cette suite, un duo bien connu de l’univers des comics : Joker & Harley Quinn ou Arthur Fleck & Lee ici. Deux internés à Arkham, deux patients qui partagent une psychose et dont le feu de l’amour nourrit une folie et un mythe du Joker. Et pour dépeindre ce délire partagé et cette difficulté de communication, le film mise sur des séquences musicales et chantées en ne reprenant que des standards des années 1960 fantasmés par les deux tourtereaux (dont une reprise de Jacques Brel). Et dans la mesure où ils voient leur propagation du chaos dans la ville comme un spectacle, c’est une belle idée que de représenter leur folie à travers un autre monde, celui de la musique, un monde qu’ils façonnent à leur guise. Mais l’amour qu’ils partagent n’est pourtant pas réciproque : toutes les chansons d’Arthur Fleck sont ainsi sur sa relation et son amour de Lee alors que les siennes sont soit sur elle soit sur sa relation avec le Joker. Ce fantasme partagé du titre n’est ainsi présent que dans l’esprit de Lee. C’est elle qui l’encourage à redevenir Joker, et elle cherche à l’utiliser pour atteindre son statut d’icône car elle ‘n’a jusqu’ici rien fait de sa vie’. C’est pourquoi, elle continue de chanter quand Arthur veut quant à lui discuter, pour maintenir en lui sa personnalité Joker.

Choisir Lady Gaga pour une telle version d’Harley Quinn est alors une bonne idée tant la chanteuse révèle au gré de ses tournages, une palette de jeu assez variée et doit faire en sorte cette fois de ne pas chanter parfaitement pour accompagner son partenaire dans leur délire musical commun. Joaquin Phoenix livre d’ailleurs une nouvelle excellente prestation bien qu’elle soit par nature, plus limitée dans ses actions, aux côtés notamment d’un toujours très bon Brendan Gleeson. Et « Folie à deux » brille techniquement par sa mise en scène travaillée avec un formidable travail de cadrage, d’éclairage, et de photographie de Lawrence Sher.

Mais si l’on prend clairement une claque visuelle, l’ennui peut parfois pointer le bout de son nez rouge avec notamment une intrigue judiciaire qui traîne quelque peu en longueur. Et s’il est vrai qu’avec un film de presque 2h20 on aurait pu s’attendre à une intrigue un peu plus fournie, et avec la place accordée au fantasme dans le premier opus, à peut-être plus de folies (notamment dans les séquences musicales) ; le principal problème au cœur de « Joker 2 » réside dans le manque de développement de son tournant décisif dans le 3e acte. Même si la scène avec Gary Puddle contient l’essentiel, elle n’est soit pas assez mise en avant comme scène clé, soit la prise de conscience d’Arthur n’est pas assez soulignée par ailleurs. Résultat ? « Folie à deux » part sur de très bonnes bases, avec de très bonnes idées, et une trame intéressante pour son personnage dramatique, mais ne réussit pas toutes les étapes de son récit.

C’est donc un film dont l’appréciation sera inévitablement liée (et variera grandement en fonction) aux attentes de chacun : si vous y cherchez la figure du Joker, une continuité du commentaire social présent dans le premier, une plongée dans la psyché aussi viscérale que dans le précédent, ou encore une véritable comédie musicale … vous serez tout simplement déçus. A l’image d’un film comme « Les derniers Jedi » dans une autre saga bien connue, « Joker 2 » offre un scénario intéressant et risqué (où tout n’est pas parfaitement exécuté, certes) mais qui offre une suite audacieuse et ambitieuse – qui malheureusement risque de condamner le studio à ne plus tenter de tels paris sur ses gros projets.

Raphaël Sallenave
 

Joker or the idol in spite of himself …

This is undoubtedly, and will most certainly remain, the biggest disappointment of the year for the vast majority of the public as well as for the studio! This huge letdown is due to the fact that the film doesn’t live up to expectations: neither those of the public, nor those of the studio, which will end up with a $200M loss on such a big production. So, this is definitely a subversive film in which the (predominant) expectations of the public are not fulfilled. But is this really an issue? And does that really make “Joker 2” a bad film, or just a frustrating sequel? Because if “Folie à deux” weren’t a sequel, would it be so despised?

In 2019, Todd Philips already took a risk with the first “Joker” by venturing into a solo film (without Batman or other comic book characters) and above all without the famous nihilist antagonist figure of his title character. The film surprised everyone by winning the Golden Lion at Venice (an extremely rare feat for a Hollywood blockbuster of this kind), winning over audiences with box-office grosses of over a billion, and winning two Oscars – one for composer Hildur Guðnadóttir and the other for lead actor Joaquin Phoenix (the second actor to win an Oscar for the same role). Even if it wasn’t initially planned, the decision to make a sequel is understandable, but this desire, born of the success of the first opus, tells us a great deal about the very nature of this sequel and how it is viewed by the audience. After all, “Folie à deux” has been widely criticized for its lack of development beyond the character arc of the first installment, and even for its narrative setback. And yet, even if it’s true that with more than three times the budget, we might have expected more ‘folly’, “Joker 2” does indeed bring the story of the first film to a close, but in an audacious way that may surprise or even disappoint.

The artistic ambition of attempting to change both tone and genre for a sequel – and one of the most highly-anticipated of the year – is indeed to be praised, when in the vast majority of cases (too often, one might say?) saga sequels are primarily about maintaining the status quo. And insofar as the first opus already went against the tide of connected comic book and superhero universes à la MCU or DCU, we can quite logically understand the determination to pursue this creative direction with its sequel.

Yet, with a first film whose message was not taken in the same way by all, some seeing in it an epic dimension or a build-up of the mythical comic-book figure, many expected a continuation of the development of the Joker character. But the climax was reached at the end of the first film, so this sequel focuses not on the Joker mythos, but rather on the character of Arthur Fleck. Behind its surprising tone therefore lies a very classic structure: that of the rise of an icon in the first installment, followed by his fall in the second. It’s not a sequel that pushes the violence envelope or features the re-emergence of the Joker, as the latter is only seen through Lee’s eyes (hence the ‘folie à deux’).

So, we’re basically in the opposite situation to the comics, where usually it’s Harley Quinn (alias Lee here) who’s codependent on the Joker. But there’s no real Joker in this film – he was arrested in the previous one, and by the time we find him, he’s aged and nothing more than a shadow of his former self, cowering, drug-dazed and frighteningly thin. When a prison guard prompts him to crack a joke, nothing lands. No matter how hard he tries, he just can’t find his famous wry laugh, which eventually turns to deep sorrow. So, who’s there: the Joker or Arthur Fleck? Is he crazy or just playing the madman? Through his trial and his lawyer, the film explores the idea of dual personality, and this duality is reflected in the title and even in the color palette, with its cool blues and warm yellows. Sylvain Chomet’s animated introduction alone sums up the film’s duality.

But “Folie à deux” also refers to the duo at the heart of this sequel, a well-known pairing in the comic book universe: Joker & Harley Quinn or Arthur Fleck & Lee here. Two Arkham inmates, two patients who share a psychosis and whose fiery love feeds the madness and myth of the Joker. And to depict this shared delusion and communication barrier, the film relies on musical and singing sequences, using only 1960s standards fantasized by the two lovebirds (including a cover of Jacques Brel). And insofar as they see their spread of chaos across the city as a spectacle, this is a clever idea to portray their madness through another world, that of music, a world they shape to their own liking. But the love they share is not mutual: all Arthur Fleck’s songs are about his relationship and love for Lee, while hers are either about her or her relationship with the Joker. The shared fantasy of the title is only ever present in Lee’s mind. It is she who pushes him to become the Joker again, and she seeks to use him to achieve her iconic status because she ‘hasn’t done anything with her life so far’. That’s why she keeps singing when Arthur wants to talk, to keep his Joker personality alive.

Choosing Lady Gaga for such a version of Harley Quinn is then a great idea, as the singer reveals a rather wide range of acting skills in the course of her films, and this time has to tamp down her singing to complement her partner in their shared musical delusion. Joaquin Phoenix delivers another top-notch performance, albeit a more restrained one by design, alongside the always excellent Brendan Gleeson. And “Folie à deux” shines technically, with Lawrence Sher’s superb framing, lighting and cinematography.

But while it’s clearly a visual delight, boredom can sometimes creep in, particularly with a legal plot that drags on a bit. And while it’s true that, with a running time of almost 2 hours 20 minutes, we might have expected a little more intrigue, and with the emphasis on fantasy in the first opus, perhaps a little more madness (particularly in the musical sequences); the main issue at the core of “Joker 2” lies in the lack of development of its crucial turning point in the 3rd act. Even if the scene with Gary Puddle provides the essentials, it’s either not given enough emphasis as a pivotal scene, or Arthur’s realization isn’t emphasized enough elsewhere. The result? “Folie à deux” gets off to a very good start, with some very good ideas and an interesting storyline for its dramatic character, but fails to deliver on all of its narrative milestones.

This is therefore a film whose value will inevitably depend on (and vary greatly according to) one’s expectations: whether you’re looking for the Joker figure, a continuation of the social commentary found in the first film, a journey into the psyche as visceral as in the previous one, or a real movie musical … you’ll simply be let down. Much like a film such as “The Last Jedi” in another popular saga, “Joker 2” offers an interesting and risky script (in which not everything is perfectly executed, admittedly), but it does offer a bold and ambitious sequel – which unfortunately risks condemning the studio to no longer attempt such gambles on its big projects.

Raphaël Sallenave
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