Rsg Production

Emmanuelle

 

2024

FR                   EN

 

Aujourd’hui encore le fait qu’une femme se dénude reste un enjeu, et le sujet de l’exploration de nos désirs reste un domaine peu abordé ou en tout cas sous peu d’approches différentes au cinéma. Cela fait maintenant, des années que les artistes féminines ont travaillé sur la réappropriation du corps des femmes, et si le regard sur la sexualité féminine et leur corps a évolué – y compris par le cinéma, que ce soit via Agnès Varda et son choix de le montrer en entier et de le regarder, ou plus récemment via Céline Sciamma qui nous emmenait à travers le regard de la femme – mettre le plaisir féminin à l’honneur reste bel et bien un enjeu d’actualité dans l’art, et dans l’art français. C’est donc l’objectif que se sont donné la scénariste Rebecca Zlotowski (Grand Central ; Les enfants des autres) et la réalisatrice Audrey Diwan (récompensée d’un Lion d’Or pour son précédent film « L’évènement ») dans leur nouveau film où la transgression ne passe plus par le fait de montrer mais par celui de convoquer l’imaginaire.

Leur film part alors d’une bonne idée audacieuse et provocatrice : plutôt que d’écrire un tel récit, adaptons plutôt un célèbre film érotique créé par les hommes et pour les hommes, pour s’approprier leur figure cinématographique de la femme. Le « Emmanuelle » de 2024 prend donc le contre-pied de la version de 1974 et change de perspective en ne faisant plus d’Emmanuelle un objet mais bien le sujet de son histoire. Il renverse la donne et c’est ici l’homme qui est l’objet de fantasme dans ce voyage intérieur sur l’univers mystérieux du désir.

Le pari, c’est de faire un film érotique et mental qui temporise. Cela implique de se faire sensuel sans être nécessairement charnel, mais aussi l’art de la suggestion et de l’attente, ainsi qu’une lente progression vers un contrôle du désir assouvi. « Emmanuelle » s’ouvre ainsi sur sa protagoniste cherchant le plaisir dans une société de surconsommation avec une première scène de sexe silencieuse où elle reste impassible et froide. Progressivement ce corps figé va se libérer, et le blocage de la protagoniste va se dissiper à mesure qu’elle frôle ses désirs, s’en détache, et surtout qu’elle est écoutée. Cette transformation est lisible sur le visage d’une Noémie Merlant aussi à l’aise dans l’autorité que dans la séduction.

Cette progression personnelle de la protagoniste se fait qui plus est en parallèle avec sa progression professionnelle en tant que responsable du contrôle qualité où elle débarque dans un hôtel de luxe à Hong-Kong avec son regard d’acier, scrutant la moindre erreur, le moindre détail, et cherchant à tout maximiser. C’est donc un film construit autour d’un sujet théorique intéressant et d’une très bonne trame narrative, mais pourtant il semble manquer quelque chose, non ? Serait-ce dû justement à cet art de l’attente que cherche à transmettre le film ? Ou plutôt à un manque d’intrigue ? Car le vrai problème réside plutôt-là, dans l’intrigue elle-même, celle autour du contrôle qualité et du management de l’hôtel dans le milieu du luxe, celle qui n’est certes que le socle du vrai sujet du film, mais celle qui finalement fait avancer l’histoire. Et malheureusement, celle-ci manque d’enjeux dans la mesure où l’histoire se concentre exclusivement sur Emmanuelle – ce qui peut se comprendre puisque c’est son personnage-titre – mais si cela fonctionne pour toute la quête personnelle, cela fonctionne moins pour l’intrigue de fond qui porte cette histoire de réappropriation du désir.

Un résultat mitigé dans l’ensemble donc pour ce film français tourné en anglais, mais « Emmanuelle » reste une œuvre qui suit une idée clairement établie et propose une vision intéressante. Celle-ci est mise en scène dans une forme d’apesanteur et d’élégance d’un palace feutré au luxe outrancier et déconnecté de la réalité (y aurait-il ici aussi un message subliminal ?) au bord de l’image publicitaire (sans jamais y sombrer) et au gré de métaphores liquides. Certains y verront un exercice de style envoûtant, d’autres un érotisme trop cérébral qui ne fait pas naître d’émotions. Si le film de 1974 avait fait scandale, cette nouvelle réinterprétation continue de diviser, mais ne marquera certainement pas autant la société française.

Raphaël Sallenave
 

Even today, the fact that a woman exposes herself remains an issue, and the subject of exploring our desires remains an area that is rarely tackled, or at least with few different takes on it in cinema. For years now, female artists have been working on the reclaiming of women’s bodies, and while the way we look at women’s sexuality and their bodies has evolved – including through the cinema, whether thanks to Agnès Varda and her choice to show it in its totality and look at it, or more recently to Céline Sciamma who took us through a woman’s gaze – putting feminine pleasure in the spotlight remains a topical issue in art, and in French art at that. This is the goal set by screenwriter Rebecca Zlotowski (Grand Central; Other Peaple’s Children) and director Audrey Diwan (winner of a Lion d’Or for her previous film “Happening”) in their new film, in which the transgression lies not in showing anymore, but in summoning the imagination.

The film’s premise is a daring and provocative one: rather than write such a story, let’s adapt a famous erotic film created by men for men, in order to appropriate their cinematic figure of womanhood. The “Emmanuelle” of 2024 thus takes the opposite tack from the 1974 version, and changes perspective by making Emmanuelle no longer an object but the subject of its story. It flips the tables, making the man the object of fantasy in this inner journey into the mysterious world of desire.

The challenge is to make an erotic and mental film that takes its time. This implies being sensual without necessarily being fleshly, but also the art of suggestion and expectation, as well as a slow progression towards the control of sated desire. “Emmanuelle” then, opens with its protagonist seeking pleasure in a society of overconsumption, with an initial silent sex scene in which she remains impassive and cold. Gradually, this rigid body will free itself, and the protagonist’s obstacle will dissolve as she brushes against her desires, breaks away from them and, above all, gets listened to. This transformation can be seen on Noémie Merlant’s face, as much at ease in authority as in seduction.

The protagonist’s personal progression takes place in parallel with her professional development as a quality control manager, where she arrives at a luxury hotel in Hong Kong with her steely gaze, scrutinizing the slightest error, the smallest detail, and seeking to maximize everything. It’s therefore a film built around an interesting theoretical approach and a very good storyline, but there seems to be something missing, doesn’t it? Could this be due to the art of expectation that the film seeks to convey? Or rather a lack of plot? Because the real problem lies there, in the plot itself, the one revolving around quality control and hotel management in the world of luxury, the one that is admittedly only the backdrop to the real subject of the film, but the one that ultimately drives the story forward. And unfortunately, it’s lacking in stakes, insofar as the story focuses exclusively on Emmanuelle – understandably so, since she’s the title character – but if this works for the whole personal quest, it doesn’t work nearly as well for the underlying plot that supports this story of reclaiming desire.

Overall, the result is rather lukewarm for this French film shot in English, but “Emmanuelle” remains a work that follows a clearly established idea and offers an interesting vision. The film is staged in the weightless elegance of a hushed palace of outrageous luxury, disconnected from reality (could there be a subliminal message here too?), on the verge of (but never sinking into) advertising imagery and liquid metaphors. Some will see it as a bewitching stylistic feat, others as an overly brainy eroticism that fails to generate any emotion. If the 1974 film sparked a scandal, this new reinterpretation remains divisive, but certainly won’t have the same impact on French society.

Raphaël Sallenave
How to have sex
Iris et les hommes