Rsg Production

Megalopolis

 

2024

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“Le vrai génie est souvent mal compris” … telle pourrait-être la morale de cette fable visuelle de Francis Ford Coppola qui est et restera très certainement son film le plus fou, où il nous présente un parallèle scénique et thématique entre la cité romaine et la chute de sa République antique avec le New-York d’aujourd’hui et la nation américaine. Deux hommes et deux visions s’affrontent alors dans ce conte politique rétrofuturiste : Cicéron vs César ou le politicien au projet de cité-casino vs l’inventeur d’un matériau révolutionnaire qui veut bâtir une ville qui puisse faire rêver les gens !

Ecrit dès 1983 et terminé à coup de millions sortis de ses propres poches – Coppola a notamment vendu un vignoble pour l’autofinancer à hauteur de $120M car aucun studio ne voulait se risquer à un tel projet – « Megalopolis » est tout simplement le projet d’une vie. Un projet vieux de plus de quarante ans qui s’avère aussi monumental qu’expérimental, et définitivement pas commercial. Inévitablement attendu depuis des années, le film a beaucoup divisé son public dès sa sortie à Cannes, sans sembler proposer vraiment de juste milieu. Cela peut en effet être le signe des grands films, ceux qui marquent et divisent. Car il est vrai qu’on peut tout à fait accepter d’être dérangé par la singularité d’une œuvre, d’autant plus pour une œuvre qui parle justement de création, mais cela serait acceptable pour un film qui captive son spectateur – voire le perd mais pour le questionner – un film qui renouvelle un concept ou une idée, ou encore nous stupéfie par sa plasticité, bref … pas un film qui perd son propre fil conducteur, laisse de côté certains éléments cruciaux de l’intrigue et nous endort avec une histoire désorganisée et finalement assez banale !

Sorte de dystopie du présent (avec évidemment un cadre futuriste, mais aussi un environnement issu du passé, ainsi que plein d’éléments de décors d’aujourd’hui – à commencer par un Manhattan très reconnaissable avec son Chrysler Building – sans compter les nombreuses datations de l’histoire en MMXXIV), « Megalopolis » nous plonge dans une atmosphère bien spéciale (qui peut paraître incohérente ou en rebuter certains) avec une esthétique dorée, très numérique et presque artificielle. Et avec ses références à différentes époques, le film nous offre une panoplie de costumes et de décors iconiques et symboliques ainsi que quelques plans sublimes, à l’image du protagoniste-créateur en équilibre au-dessus du vide, ou des statues mouvantes comme celle de la Justice qui s’effondre, ou encore du plan du baiser véritable métaphore où les personnages d’Adam Driver et Nathalie Emmanuel – dont la romance est difficilement crédible ou ne provoque pas vraiment d’émotions – tombent amoureux.

Mais si les visuels offrent quelques tableaux, les acteurs eux sont assez inégaux à l’image des variations de ton du film. Il est vrai que retranscrire le génie de l’intelligence à l’écran est un défi particulièrement difficile au cinéma. Et Coppola évite les clichés des multitudes de diagrammes, mais son approche consistant à dépeindre son protagoniste dans une forme de réflexion délirante, n’apporte pas beaucoup plus de clarté à son récit. Et il est bien là le problème principal de « Megalopolis », dans son récit. Si l’histoire est remplie de références historiques, artistiques et politiques, elle est aussi décousue et confuse. Il est difficile de démêler les fils d’un tel scénario qui semble rempli d’idées sans vraie ligne directrice : entre les complots d’un fils de banquier, le scandale d’une vestale, un satellite soviétique (qui n’a aucune incidence sur l’intrigue dans sa globalité), le pouvoir d’arrêter le temps de son héros (pourquoi ou comment ? Aucune idée …), le tout sur des citations de Marc Aurèle ! C’est un film sur un architecte qui ne raconte rien sur la ville, et dont les enjeux ne correspondent tout simplement pas à ses personnages avec la majorité de la population simplement dépeinte comme une masse manifestant dans les rues sans âme.

S’il se veut être une fresque visionnaire, « Megalopolis » est donc surtout un film chaotique. Mais c’est plus un manifeste de création artistique qu’un long-métrage à la narration cohérente. C’est une œuvre qui se rapproche de l’expressionisme expérimental, à l’image de la scène où le personnage d’Adam Driver répond comme en pleine conférence de presse à un journaliste qui est joué par un individu se plaçant devant l’écran avec un micro pour cette scène (seuls les chanceux de Cannes ou des séances spéciales avant la sortie internationale auront eu droit à cette séquence avec l’individu dans la salle de cinéma – pour les autres la question aura été pré-enregistrée). S’il s’avère malheureusement incernable et assez creux, « Megalopolis » restera néanmoins un film unique, il n’y en a clairement pas d’autre qui lui ressemble.

C’est une forme d’autoportrait de l’artiste, et un film qui appelle à redonner son importance au geste créatif, en particulier lorsque celui-ci soutient une vision utopique du monde. C’est un film qu’il serait peut-être intéressant de voir sous l’angle surréaliste. Et c’est, enfin, un film qui peut s’avérer intéressant pour ceux curieux d’une œuvre qui cherche à créer (et quand on cherche on ne trouve pas toujours), mais pour tout autre public (bien que la curiosité soit un atout en règle générale), cette fois-ci, passez votre chemin. Et si vous avez trouvé cette critique assez déstructurée, dîtes-vous qu’elle est sûrement à l’image du film …

Raphaël Sallenave
 

“True genius is often misunderstood” … this could be the moral of Francis Ford Coppola’s visual fable, which is and will remain his wildest film to date, in which he draws a scenic and thematic parallel between the Roman city and the fall of its ancient republic, and today’s New York and the American nation. Two men and two visions confront each other in this retro-futuristic political tale: Cicero vs. Caesar, or the politician with the casino-city vision vs. the inventor of a revolutionary material who wants to build a city that can make people dream!

Written as early as 1983 and completed with millions of dollars of his own money – Coppola sold a vineyard to finance it at a cost of $120 million, because no studio would risk such a venture – “Megalopolis” is quite simply the work of a lifetime. It’s a project more than forty years in the making, as monumental as it is experimental, and definitely not a commercial undertaking. Highly-anticipated for years, the film has divided audiences ever since its release at Cannes, without really offering any middle ground. This can indeed be the sign of great films, those that leave their mark and divide. It’s true that it’s perfectly acceptable to be disturbed by the singularity of a film, all the more so for one that is precisely about creation, but this would be acceptable for a movie that captivates its viewer – or even loses him, but in order to question him – a movie that revitalizes a concept or an idea, or stuns us with its visuals, in short … not a movie that loses its own story line, leaves out crucial plot elements and lulls us to sleep with a messed-up, and ultimately rather mundane, tale!

As a kind of present-day dystopia (with a futuristic setting, of course, but also an environment from the past, as well as a number of present-day set pieces – starting with a very recognizable Manhattan with its Chrysler Building – not to mention the multiple dating of the story to MMXXIV), “Megalopolis” immerses us in a very special atmosphere (which may seem disjointed or off-putting to some) with a gilded, very digital and almost artificial aesthetic. And with its references to different eras, the film offers us a host of iconic and symbolic costumes and sets, as well as some gorgeous shots, such as the protagonist-creator hanging above the void, or the moving statues, like the one of Justice collapsing, or the metaphorical kissing shot where Adam Driver and Nathalie Emmanuel’s characters – whose romance is hardly believable or emotionally compelling – are falling in love.

But if the visuals offer a few wonderful paintings, the actors are as uneven as the film’s variations in tone. It’s true that bringing the genius of intelligence to the screen is a particularly difficult challenge for cinema. And Coppola avoids the clichés of endless diagrams, but his approach of depicting his protagonist in a form of wacky brainstorming doesn’t add much clarity to his narrative. And therein lies the main problem with “Megalopolis”, in its narrative. While the story is full of historical, artistic and political references, it’s also disjointed and confused. It’s hard to untangle the threads of such a script, which seems to be full of ideas without any real guidelines: between the plotting of a banker’s son, the scandal of a vestal, a Soviet satellite (which has no bearing on the plot as a whole), the hero’s power to stop time (why or how? No idea …), all on top of quotes from Marcus Aurelius! This is a film about an architect that doesn’t tell you anything about the city, and whose stakes simply don’t match its characters, with the majority of the population simply depicted as a soulless mass protesting in the streets.

Despite aiming to be a visionary epic, “Megalopolis” is above all a chaotic film. But it’s more of a manifesto of artistic creation than a feature film with a coherent narrative. It’s a work that comes close to experimental expressionism, as in the scene where Adam Driver’s character responds as if in the middle of a press conference to a journalist who is played by an individual standing in front of the screen with a microphone for this scene (only those lucky enough to have attended Cannes or the special screenings before the international wide release will have had the chance to see this sequence with the individual in the cinema – for the others, the question will have been pre-recorded). While it may unfortunately prove dull and rather empty, “Megalopolis” will nonetheless remain a unique film – there’s clearly no other quite like it.

This is a kind of self-portrait of the artist, and a film that calls for a return to the importance of the creative process, particularly when it supports a utopian vision of the world. This is a film that might be interesting to see from a surrealist perspective. And, finally, this is a film that may be of interest to those curious about a work that tries to create (and when you’re trying, you don’t always succeed), but for any other audience (although curiosity is generally a virtue), this time, just skip it. And if you found this review rather unstructured, rest assured that it’s probably a reflection of the film itself…

Raphaël Sallenave
Elémentaire
Horizon : Une saga américaine