Anatomie d’une chute
(Anatomy of a Fall)
Palme d’Or – Cannes
Best Original Screenplay – Oscars
Meilleur Film & Meilleure réalisation – Césars
Meilleure actrice & acteur secondaire – Césars
Meilleur scénario original & montage – Césars
Best Original Screenplay – BAFTA
Donatello Best Foreign Film – Italy
Goya Best European Film – Spain
Best International Independent Film – Spirit & BIFA
2023
FR EN
« Stop. I did not kill him. — That’s not the point. » Superbe condensé du synopsis et des enjeux de la Palme d’Or de cette année 2023, décernée au dernier long-métrage de Justine Triet. Intitulé avec soin, « Anatomie d’une chute » est un film qui décortique et dissèque toute l’histoire de la bascule d’un homme du haut de son chalet, emportant avec lui l’innocence de son fils et peut-être celle de sa femme. Seulement, cette mort, est-elle accidentelle ou provoquée ? Comment et pourquoi peut-on l’expliquer ? Qui est responsable ? La justice peut-elle trancher ?
Outre le jeu de trois rares chansons qui accompagnent et rappellent des moments pesants ou graves, le film marque par le trouble, le terne et le mélancolique de ses couleurs – même dans la blancheur immaculée de la neige. Réduisant les décors aux corps moins qu’à l’espace parce que centré sur ses personnages, « Anatomie d’une chute » nous oriente quasi systématiquement vers la psychologie de ces derniers : les scènes sont ainsi des successions de portraits (de tous les cadrages ou presque) où l’on scrute les actions, réactions et regards des protagonistes. Leurs voix, leurs mimiques et surtout leurs visages deviennent alors essentiels pour comprendre leur cheminement, et ce qu’importe avec quel type d’appareil (caméra de cinéma ou de télévision, caméscope, appareil photo, téléphone portable) on les saisit. Les superbes actrices et les acteurs de tous rôles ne peuvent ainsi que performer voire époustoufler de par leurs interprétations et leurs dialogues – souvent bilingues anglais-français, de surcroît !
Mais c’est aussi et surtout l’intrigue autour des personnages qui captive et qui heurte. En premier lieu Sandra (Sandra Hüller), autrice allemande ayant suivi son mari en France pour le bien de leur couple, maintenant accusée du meurtre de son dulciné et devant encaisser un procès qui désosse publiquement des conflits conjugaux. En second lieu Daniel (Milo Machado Graner), enfant malvoyant d’abord spectateur puis, petit à petit, acteur de tout ce qu’il se prend en pleine figure lors d’une instruction aux révélations crues et choquantes. Mère et fils sont dévastés et endurcis par cette affaire qui les dépasse largement alors même qu’elle les concerne personnellement.
Car le film n’est pas que l’histoire d’un procès. Il traite non seulement et indirectement de l’hyper-médiatisation hyper violente dont peuvent souffrir les accusés, témoins et avocats en plus des déchirures que crée un procès lui-même, mais aussi et surtout de l’effritement d’une famille et d’un couple. Des traumatismes issus d’accidents de la vie, des déséquilibres relationnels qui persistent et qui tuent à petit feu, des rêves qui se perdent et des espoirs qui se muent en désespoirs. De la patience, aussi, où la souffrance attend une réponse qui ne la guérit même pas…
Alors, cette chute est-elle un meurtre, un suicide ou un accident ? Bien que le film fasse plutôt pencher d’un côté, il laisse le doute planer. Parce que cela peut être les trois : cet homme déchu est à la fois un aidant aimant et un être enfermé dans une sorte de piège, à la fois épanoui et restreint, et dont on ne connaît pas vraiment les intentions et opinions, puisqu’il n’a pas ou plus la parole. À l’image de ce cher Snoop, ce chien extraordinaire (et vainqueur de la Palme Dog 2023 !) dont on ne peut nier l’importance dans la touchante Anatomie de cette chute.
« Stop. I did not kill him. – That’s not the point. » A great summary of the plot and the key issues at stake in this year’s Palme d’Or awarded to Justine Triet’s latest feature film. Carefully entitled “Anatomy of a Fall”, the movie deconstructs and dissects the story of a man’s fall from the top of his chalet, taking with him the innocence of his son and perhaps that of his wife. But is this death accidental or caused? How and why can it be explained? Who was responsible? Can the courts settle the matter?
In addition to the three rare songs that accompany and remind us of heavy or serious moments, the film stands out for the cloudiness, dullness and melancholy of its colors – even in the immaculate whiteness of the snow. Minimizing the setting to bodies rather than space, because it focuses on its characters, “Anatomy of a Fall” almost systematically directs us towards their psychology: scenes are thus a succession of portraits (of all framings almost) where the actions, reactions and glances of the protagonists are closely scrutinized. Their voices, facial expressions and, above all, their faces become essential to understanding their journey, no matter what type of camera (cinema or TV camera, camcorder, stills camera, cell phone) is used to capture them. The wonderful actresses and actors in every role can’t fail to perform and even blow you away with their interpretations and dialogues – often bilingual in English and French, no less!
But it’s also, and above all, the character-driven plot that captivates and stuns. First there’s Sandra (Sandra Hüller), a German author who followed her husband to France for the sake of their marriage, now accused of murdering her sweetheart and facing a trial that publicly debunks marital conflicts. Then there’s Daniel (Milo Machado Graner), a visually-impaired child who starts out as a spectator, then gradually becomes an actor in everything he comes face-to-face with during an investigation that yields raw, shocking revelations. Mother and son are devastated and hardened by this affair, which goes far beyond them even though it affects them personally.
After all, the film is not just a trial drama. It deals not only and indirectly with the hyper-violent hyper-mediatization from which defendants, witnesses and lawyers can be exposed, in addition to the tears created by a trial itself, but also and above all with the disintegration of a family and a couple. Traumas resulting from life’s mishaps, relationship imbalances that persist and kill slowly, dreams that are lost and hopes that turn to despair. Patience, too, where suffering waits for an answer that doesn’t even cure it…
So, is this fall a murder, a suicide or an accident? Although the film tends to lean towards one side, it leaves us guessing. Because it could be all three: this fallen man is both a loving caregiver and a person caught in a kind of trap, both fulfilled and restricted, and whose intentions and opinions we don’t really know, since he doesn’t have or no longer has a voice. Just like the beloved Snoop, that extraordinary dog (and winner of the 2023 Palm Dog Award!) whose importance cannot be denied in the poignant anatomy of this fall.