L’innocence
怪物 – Kaibutsu
(Monster)
Prix du Scénario – Cannes
2023
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Un drame en cache souvent un autre, ou plutôt des autres. Telle serait la morale de « L’Innocence », dernier long-métrage réalisé par Hirokazu Kore-eda (auteur dernièrement notamment d’« Une affaire de famille » et des « Bonnes Étoiles »). Doublement récompensé au Festival de Cannes, le film nous raconte l’histoire de Minato, un jeune garçon qui semble de plus en plus distant, de plus en plus étrange et de plus en plus malheureux. Sa mère s’en inquiète, mais elle n’est pas la seule et, pire, la situation paraît échapper à tout le monde…
Gratifié du Prix cannois du meilleur scénario, « L’Innocence » a scénaristiquement une structure particulière, consistant en une succession de points de vue qui nourrissent non seulement l’intrigue mais aussi les personnages qui la peuplent. En basculant d’une focale à une autre, l’on découvre ou redécouvre des sous-récits qui ne sont en réalité jamais secondaires, mais complémentaires. L’on ne peut ainsi pas comprendre l’histoire dans son ensemble sans la décortiquer : une proviseure secrète devient alors tout aussi importante qu’un professeur investi ou une mère surprotectrice, car tous leurs tourments comptent, même indirectement, dans ceux de Minato, et vice-versa.
Le film traite par ailleurs de l’amour et de tous les sentiments, tant positifs que négatifs, qui en émanent. De cet amour maternel nourri d’espoirs et de craintes. De cet amour social d’être avec autrui et qui parfois se transforme en haine. De cet amour premier et pur, de soi et de l’autre, qui quelquefois éblouit à en faire souffrir, à en perdre son innocence, à en croire qu’on est un monstre (怪物), un être bizarre, queer – comme la Palme qui a été décernée au film.
Dramatique, mélancolique mais aussi par moments poétique, « L’Innocence » nous rappelle la fragilité de l’enfance où tout passe pour possible avant que la réalité ne nous rattrape. Les couleurs varient ainsi selon les points de vue, de même que la perception des personnages – magnifiquement interprétés tant par les enfants que par les adultes. Un film doux[-amer] et subtil, où tout n’a pas besoin d’être explicité, la lente tragédie faisant le reste.
Axel Chevalier
One drama often hides another, or rather others. Such would be the moral of “Monster”, the latest feature film from director Hirokazu Kore-eda (most recently of “Shoplifters” and “Broker”). A double award-winner at the Cannes Film Festival, the film tells the story of Minato, a young boy who seems increasingly distant, strange and unhappy. His mother worries, but she’s not the only one, and what’s worse, the situation seems to be getting out of hand…
Winner of the Cannes Film Prize for Best Screenplay, “Monster” has a distinctive story structure, consisting of a succession of points of view that nurture not only the plot but also its characters. By switching from one focal point to another, we discover or rediscover sub-narratives that are never secondary, but complementary. A secret principal becomes just as important as an invested teacher or an overprotective mother, because all their torments count, albeit indirectly, in Minato’s, and vice versa.
The film is also about love and all the feelings, both positive and negative, that emanate from it. Maternal love, nourished by hopes and fears. The social love of being with others, which sometimes turns into hatred. A love that is pure and primary, for oneself and for others, that sometimes dazzles to the point of pain, of losing one’s innocence, of believing that one is a monster (怪物), a bizarre, queer being – like the award that was given to the film.
A dramatic, melancholy film that is also at times poetic, “Monster” recalls the fragility of childhood, when everything seems possible before reality catches up with us. The colors vary according to the point of view, as do the perceptions of the characters – wonderfully interpreted by both children and adults. A bittersweet, subtle film, in which everything doesn’t need to be explained, the slow tragedy filling in the rest.
Axel Chevalier