Rsg Production

Pierre Feuille Pistolet

 
Skad Dokad (In the rearview)

2023

FR                   EN

 
Voilà déjà bientôt deux ans que la Russie de Vladimir Poutine a envahi l’Ukraine ! Déjà 22 mois de guerre ! Une guerre qui a depuis longtemps dépassé les premières projections et dont les impacts resteront maintenant gravés pendant des décennies. Avec plus de 7 millions de réfugiés et 8 millions de déplacés internes, l’un des phénomènes majeurs des premiers mois de cette guerre reste l’évacuation massive de civils. C’est ce dont témoigne ce documentaire cru et touchant présenté au Festival de Cannes : un road-movie courageux au dispositif simple de voiture-caméra, un convoi-documentaire alliant l’acte à la parole.
 
A bord de son mini-van surchargé, le réalisateur polonais Maciek Hamela sillonne ainsi les routes d’Ukraine dans les premières semaines de guerre pour aider les habitants à fuir. Le conducteur-réalisateur se fraie ainsi un chemin entre les champs de mines pour évacuer un peuple voisin forcé à l’exode. Son véhicule devient alors leur premier espace de confession sûr et intime, une zone de confiance et confidences. Alors que l’émotion circule dans l’habitacle, il filme leurs conversations. Leurs histoires n’ont pas toutes la même portée émotionnelle mais il les rend toutes audibles en captant leur sincérité, spontanéité et leur loquacité. Les échanges, confessions, larmes et parfois rires s’enchaînent sous l’œil d’une caméra qui disparaît presque dans ce refuge les emmenant vers la sécurité.
 
Chaque histoire est souvent racontée pour la première fois entre des personnes qui ne se connaissent pas, c’est donc aussi une histoire de rencontres qui forment un grand récit, celui de la transition du passé vers le futur. C’est en effet dans ce mini-van que ces Ukrainiens deviennent des réfugiés. Cela représente un grand saut vers l’inconnu qui fait résonner entre elles des scènes de retrouvailles et de séparation et que chacun accepte différemment : jusqu’à se réjouir de partir en voyage ! Dans un tel récit d’exode, le témoignage des enfants occupe une place centrale tant ils s’expriment sans filtre de peur ou de méfiance.
 
Et c’est bien à travers leurs visages et leurs comportements que toute l’ampleur de ce qu’ils ont traversé se reflète comme le suggère le titre français renvoyant à l’enracinement/ancrage de la guerre dans leur éducation. Le film témoigne de différentes étapes de la guerre, de la première vague de réfugiés à l’encerclement des villes de Kiev et Chernihiv, puis aux batailles de Kharkiv et Marioupol. Mais si elle est bien omniprésente dans les discours, la guerre demeure hors-champ uniquement visible à travers les fenêtres du mini-van où l’on en aperçoit les stigmates, des bâtiments détruits aux routes coupées en passant par les check-points réguliers et les épaves calcinées de chars. A travers ces fenêtres, le décor de la guerre défile ainsi tel une toile de fond des conversations qu’il capture. Il nous fait traverser les horreurs de la guerre en mouvement et la tragédie de l’exode en huis-clos par un regard porté vers l’arrière filmant la guerre en différé.
 
Cette odyssée de transition entre leur passé et leur futur crée deux temporalités illustrées dans ce quasi 100% huis-clos par deux uniques prises de vues : l’une tournée vers l’avant du véhicule, vers ce qu’ils traversent et quittent et in fine vers ce qui les attend, leur futur ; et l’autre vers les sièges arrière et les témoignages de guerre à l’image du titre original et anglais (« In the Rearview »). Le réalisateur est alors à la fois chauffeur, organisateur, bénévole, interprète, confident. Toujours à la recherche de solutions, il est discret mais pas neutre et ne fait pas de commentaire. Ce n’est pas une œuvre analytique, c’est un plongeon dans l’action.
 
Puissant témoignage de guerre plein d’humanité, « Pierre, Feuille, Pistolet » est un documentaire multilingue (ukrainien, anglais, français, polonais) prenant, émouvant et important. Cette épopée d’urgence se veut ainsi l’écho d’une belle mobilisation spontanée et massive, et du rapprochement historique de deux pays au difficile passé commun … signe d’une fraternité entre les peuples (limitrophes) ?
 
Raphaël Sallenave
 

It’s almost been two years already since Vladimir Putin’s Russia invaded Ukraine! Already 22 months of war! A war that has long since gone beyond the first projections, and whose scars will remain etched for decades to come. With over 7 million refugees and 8 million internally displaced people, one of the major phenomena of the first months of this war was the large-scale evacuation of civilians. This is what this raw and moving documentary, presented at the Cannes Film Festival, bears witness to: a courageous road-movie with a simple car-camera set-up, a convoy-documentary bringing together action and words.

Aboard his overloaded minivan, Polish director Maciek Hamela travels the roads of Ukraine during the first weeks of the war to help the residents to flee. The driver-director makes his way through minefields to evacuate a neighboring population forced to leave. His vehicle then becomes their first safe and intimate confessional space, a zone of trust and confidences for a mosaic of passengers. As the emotion flows through the cabin, he films their conversations. Their stories do not all have the same emotional impact, but he makes them all heard by capturing their sincerity, spontaneity and talkativeness. Exchanges, confessions, tears and sometimes laughter follow one another under the eye of a camera that almost disappears in this safe haven taking them to safety.

Each story is often told for the first time between people who don’t know each other, so it’s also a story of encounters that shape a larger narrative, that of the transition from the past to the future. Indeed, it is in this minivan that these Ukrainians become refugees. It’s a big leap into the unknown, echoing scenes of reunion and separation that everyone accepts in their own way, even to the point of looking forward to the journey! In such a tale of exodus, the children’s testimony takes center stage, as they openly speak out without any filter of fear or mistrust.

And it is through their faces and behavior that the full extent of what they have been through is reflected, as the French title suggests (literally “Rock, Paper, Gun”), referring to the deep-rootedness of the war in their upbringing. The film covers the different stages of the war, from the first wave of refugees to the siege of the cities of Kiev and Chernihiv, followed by the battles of Kharkiv and Mariupol. But while it is ever-present in the speeches, the war remains off-screen, visible only through the windows of the minivan, where we can see the aftermath, from destroyed buildings to cut-off roads, regular check-points and the scorched wrecks of tanks. Through these windows, the scenery of the war unfolds like a backdrop to the conversations he captures. He takes us through the horrors of war on the move and the tragedy of the exodus behind closed doors, filming the war after the fact.

This odyssey of transition between their past and their future creates two temporalities, depicted in this almost 100% behind-closed-doors film by two single shots: one looking towards the front of the vehicle, towards what they are travelling through and leaving, and ultimately towards what awaits them, their future; and the other towards the rear seats and the war stories, as in the original & English title. The director is at once driver, organizer, volunteer, interpreter and confidant. Always looking for solutions, he is discreet but not neutral, and makes no comment. This is not an analytical piece, it’s a journey into the heat of the action.

A powerful war story full of humanity, “In the Rearview” is an engaging, moving and important multilingual documentary (Ukrainian, English, French, Polish). This emergency tale echoes a spontaneous and massive mobilization, and the historic bonding of two countries with a painful shared past… a sign of fraternity between (neighboring?) peoples!

Raphaël Sallenave

Nous, Jeunesse(s) d'Iran
20 Jours à Marioupol