Severance
[TV]
Saison / Season 2
2025
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Et si vous dissociiez vos souvenirs et votre mentalité entre vie professionnelle et vie personnelle ? C’est ce que vous propose Lumon, le conglomérat tentaculaire dont les personnages de « Severance » sont les employés. Après une première saison diablement intrigante, l’excellente série Apple TV+ est revenue avec une deuxième saison tout aussi palpitante – et d’ailleurs cette fois-ci bien plus mise en valeur sur le plan médiatique.
« Severance », c’est d’abord le nom d’un concept : la dissociation (‘severance’ en anglais, qui veut aussi dire en droit du travail « indemnité de fin de contrat lorsque celui-ci a été rompu par l’employeur »). Chez Lumon, un vaste sous-sol, quasiment hermétique au monde extérieur, est entièrement dédié aux employés dits « dissociés » spatialement et mentalement. C’est là que travaillent notamment Mark S., Helly R., Irving B. et Dylan G., que les « exter » respectifs (c’est-à-dire les personnalités hors Lumon) ont décidé de confier à l’entreprise. Les membres de ce quatuor, donc, ne savent rien de leurs vies extra-professionnelles, jusqu’à ce que, dans la première saison, ils investiguent et essayent de communiquer avec l’extérieur sur l’absurdité de leur condition – le tout alors que le Mark de l’extérieur commence lui aussi à se demander ce qui se trame vraiment chez Lumon. La deuxième saison reprend ainsi juste après la réussite du quatuor « inter » à délivrer en substance leur message, jusqu’à ce qu’ils soient interrompus.
D’une minutie incomparable, « Severance » est une série qui a définitivement le sens du détail. Qu’ils soient visuels, sonores ou verbaux, les épisodes fusent en effet d’innombrables et méticuleux éléments qui enrichissent considérablement un scénario déjà brillamment ficelé. Un simple bip, une banale remarque ou une secondaire peinture peuvent ainsi tout faire basculer, de sorte qu’il existe désormais une infinité de théories et contre-théories sur l’univers de la série, la psyché des protagonistes, la morale des personnages principaux comme secondaires, et même sur les parallèles entre Lumon et certaines entreprises bien réelles.
« Severance » est de fait particulièrement soignée (de façon troublante, même) avec des images et des chronologies millimétrées. Les environnements – en particulier celui du sous-sol labyrinthique et d’apparence immaculé – en deviennent insensés voire effrayants, à l’instar des liminal spaces dont s’est inspirée la série. Les errances et quêtes des personnages dans des lieux si renfermés et/ou immensément étendus rehaussent ainsi le mystérieux, l’angoissant et parfois le cocasse de leurs situations. Faut-il dire de surcroît que nombreuses sont les scènes impromptues qui paraissent délirantes, notamment lorsqu’il s’agit de musique (notons par exemple la présence étonnante d’un thérémine) ou de mythologie autour de la famille Eagan, fondatrice de Lumon (histoire parfois littéralement racontée au coin du feu).
Mais si l’aspect abstrait et répétitif de plusieurs scènes dans la première saison était là pour souligner le côté subtilement curieux et oppressant de l’univers, celui-ci laisse en revanche place à une explicitation et une multiplication de terrains, d’enjeux et de sous-intrigues dans la deuxième saison. Les quatre « inter » principaux (ainsi que nous, public) savons désormais plus ou moins qui sont leurs « exter », de sorte que nous en apprenons toujours plus sur les vies et les buts des protagonistes et de leurs doppelgängers modernes. Les sentiments, le passé, les idéaux de chacune et chacun (Harmony et Gemma incluses, sans non plus oublier M. Milchick) deviennent ainsi autant de pièces d’un complexe puzzle qui ne pourra se résoudre que lors d’une ou plusieurs saisons suivantes.
La saison 2 de « Severance » soulève en effet plus de questions qu’elle n’en élimine – voire à tendance à étirer quelque peu le propos et le développement de certains personnages au détriment d’autres. Cependant elle rappelle aussi que le thème de la dissociation, spécialement dans le monde du travail mais pas uniquement, revêt des enjeux éthiques et philosophiques considérables : la religion et le fanatisme insérés dans un monde entrepreneurial opaque ne sont ainsi jamais bien loin, tandis que les interrogations sur ce que constitue notre identité (via cette reprise innovante du mythe du double) forment un leitmotiv sans fond dans lequel tout le monde peut se perdre.
Avec enfin des scènes, des retournements voire des épisodes entiers particulièrement marquants techniquement comme scénaristiquement (nous parlons ici de l’épisode 7 intitulé « Chikhai Bardo » – et dont le titre est d’ailleurs le nom d’un concept bouddhiste que nous vous laisserons découvrir), « Severance » restera à coup sûr dans les annales de ces séries incisives et exploratoires dont on ne demande qu’une suite (heureusement confirmée) à décrypter et à dévorer avec délectation.
Axel Chevalier
What if you severed your memories and your thoughts between your professional and personal lives? That’s what Lumon, the sprawling conglomerate of which the characters in “Severance” are employees, offers you. After a tremendously fascinating first season, the excellent Apple TV+ series came back with a second just as thrilling – and this time with a much stronger media spotlight.
“Severance” is first and foremost the name of a notion (meaning both a mental separation and in law “a compensation given to an employee who is laid off or whose job has been terminated by the employer”). At Lumon, a huge sub-floor, virtually hermetically sealed from the outside world, is entirely devoted to spatially and mentally ‘severed’ employees. This is where Mark S., Helly R., Irving B. and Dylan G. work, as their respective ‘outies’ (i.e., personalities outside Lumon) have decided to hand them over to the company. The members of this quartet, then, know nothing of their outside lives, until, in the first season, they investigate and try to communicate with the outside world about the absurdity of their condition – while at the same time, outside Mark is also beginning to wonder what’s really going on at Lumon. The second season then picks up right after the ‘innies’ quartet have succeeded in delivering in essence their message, only to be stopped halfway through.
“Severance” is a series with an unparalleled attention to detail. Whether visual, audio or spoken, the episodes are packed with countless carefully designed elements that add substantial value to an already brilliantly crafted storyline. A simple beep, a casual comment or a minor painting can turn everything upside down, so that there are now countless theories and counter-theories about the series’ universe, the protagonists’ psyche, the morals of the main and supporting characters, and even the parallels between Lumon and certain real-life companies.
In fact, “Severance” is particularly well-crafted (disturbingly so, in fact), with meticulously detailed images and timelines. The environments – particularly that of the maze-like, seemingly immaculate lower level – become insane, even frightening, like the liminal spaces that inspired the series. The characters’ wanderings and quests in such confined and/or vastly expanded spaces enhance the mysterious, eerie and sometimes downright funny nature of their situations. It goes without saying that many of the unexpected scenes seem delirious, particularly when it comes to music (including the surprising use of a theremin) or the mythology surrounding the Eagan family, founders of Lumon (a story sometimes literally told by the fireside).
But if the abstract and repeated aspect of several scenes in the first season was there to emphasize the subtly curious and oppressive side of the universe, it gives way on the other hand to a clarification and multiplication of fields, stakes and subplots in the second season. The four main ‘innies’ (and we, the audience) now know more or less who their ‘outies’ are, so we learn more and more about the lives and goals of the protagonists and their modern-day doppelgängers. The feelings, pasts and values of each and every one (including Harmony and Gemma, not forgetting Mr. Milchick) become pieces in a complex puzzle that can only be solved in one or more subsequent seasons.
Season 2 of “Severance” actually raises more questions than it answers – and even tends to stretch the focus and development of some characters somewhat at the expense of others. However, it also reminds us that the theme of severance, especially but not only in the workplace, has major ethical and philosophical implications: religion and fanaticism embedded in a shadowy corporate world are never far away, while questions about what makes up our identity (through this fresh take on the myth of the double) build a bottomless leitmotif in which everyone can get lost.
With scenes, twists and even whole episodes that are particularly striking both technically and narratively (for instance, episode 7 entitled “Chikhai Bardo” – which refers to a Buddhist concept we’ll leave you to explore), “Severance” is sure to go down in history as one of those sharp, in-depth series whose (thankfully confirmed) sequel we can only hope to decipher and devour with relish.