Nos Frangins
2022
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Mine fermée, coiffure sombre, barbe noire finement taillée et tout vêtu de noir, l’inspecteur Mattei (Raphaël Personnaz) joue dans la nuit et dans l’ombre des bavures de ses collègues, accablé par sa lourde tâche et complice malgré lui. Il doit annoncer la nouvelle aux familles et faire l’enquête : il est ainsi le témoin historique du spectateur qui lui énonce les faits et lui en montre la gravité. Ce personnage créé de toute pièce, n’est qu’une ombre, celle de la conscience des policiers et plus généralement de la société française face aux bavures policières de 1986 qui lors des manifestations étudiantes ont tué deux jeunes, Abdel et Malik, sans lien aucun avec les manifestations et qui devinrent les emblèmes d’une jeunesse et d’une opposition.
Sélectionné au Festival de Cannes 2022 et représentant de l’Algérie aux Oscars 2023, « Nos Frangins » s’inscrit dans la lignée des précédents films de Rachid Bouchareb de « Indigènes » à « Hors-la-loi » en mettant en lumière les pages sombres de l’histoire coloniale ou post-coloniale de la nation française. En l’occurrence, la lumière est ici crépusculaire tant son film prend une certaine forme de recueillement sur un ton funèbre, en témoigne la scène d’ouverture où une victime et un flic arrivent à la morgue.
Sorti quelques mois après la série « Oussekine » d’Antoine Chevrollier avec Kad Merad et Sayyid el Alami disponible sur Disney+, « Nos frangins » frôlent également le documentaire avec une judicieuse utilisation d’images d’archives (de journaux TV, de l’assemblée avec un Charles Pasqua tentant désespérément de recycler la punchline de Giscard, ou encore du jeune Abdel Benyahia) qui sert ici d’outil dramaturgique pour éclairer l’action et la faire avancer. Mais le film est bien plus politique et critique avec un fort message crachant sa colère anti-flic et contre les dysfonctionnements du processus d’immigration avec deux citoyens français d’origine algérienne pour qui l’assimilation et l’intégration n’ont pas eu les mêmes effets.
C’est donc clairement un film politique mais aussi un film intime qui se focalise principalement sur la douleur des familles avec un magnifique duo Lyna Khoudri et Reda Kateb toujours très justes et un Samir Guesmi courbant l’échine cherchant à passer inaperçu en rasant les murs. Deux familles immigrées, deux chemins différents mais un résultat commun : le meurtre et le martyr. Quand l’un a été instrumentalisé l’autre fut étouffé. A travers ce travail de mémoire, Rachid Bouchareb suggère sur la fin que ces problèmes ne sont malheureusement toujours pas résolus …
« Nos frangins » c’est donc une forte reconstitution au style épuré, éclairé par le jeu de ses interprètes et son propos catégorique. Si la partie mécanique étatique reste quelque peu en surface manquant sûrement de contextualisation, le film se concentre surtout sur ses personnages et le fait très bien.
Raphaël Sallenave
Closed face, dark hairstyle, finely trimmed black beard and all dressed in black, Inspector Mattei (Raphaël Personnaz) acts in the night and in the shadow of his colleagues’ blunders, overwhelmed by his heavy task and complicit despite his nature. He has to deliver the word to the families and investigate: he is thus the historical voice of the spectator to whom he tells the facts and shows their severity. This character, entirely created for the film, is merely a shadow, that of the conscience of the police and more generally of French society in the face of the police blunders of 1986 during the student demonstrations that killed two young people, Abdel and Malik, with no connection whatsoever to the demonstrations and who became the emblems of a youth and an opposition.
Selected for the 2022 Cannes Film Festival and representing Algeria at the 2023 Oscars, “Nos Frangins” (literally “Our Brothers”) follows in the footsteps of Rachid Bouchareb’s previous films, from “Indigènes” to “Hors-la-loi”, by shedding light on the dark pages of the French nation’s colonial or post-colonial history. In this case, the light is twilight as his film takes a certain form of mourning in a funereal shade, as evidenced by the opening scene where a victim and a cop arrive at the morgue.
Released a few months after Antoine Chevrollier’s series « Oussekine » with Kad Merad and Sayyid el Alami available on Disney+, “Nos frangins” also verges on the documentary with a clever use of archival footage (of TV news, of the parliament with a Charles Pasqua desperately trying to recycle Giscard’s punchline, or even of the young Abdel Benyahia) that serves here as a dramatic tool to shed light on the action and move it forward. But the film is much more political and critical with a strong message spitting out its anti-cop anger and against the failures of the immigration process with two French citizens of Algerian origin for whom assimilation and integration have not had the same effects.
Clearly a political film, it is also an intimate one, focusing mainly on the families’ pain, with a wonderful duet between Lyna Khoudri and Reda Kateb, always spot on, and a bending Samir Guesmi trying to go unnoticed by staying close to the walls. Two immigrant families, two different paths but a shared fate: murder and martyrdom. When one was instrumentalized the other was silenced. Through this work of memory, Rachid Bouchareb suggests at the end that these problems are unfortunately still not resolved …
“Nos frangins” is therefore a strong reconstitution with a refined style, enlightened by the performance of its actors and its adamant statement. If the state mechanisms of a state lie remain somewhat on the surface, surely lacking a bit of contextualization, the film focuses mainly on its characters and does it very well.
Raphaël Sallenave
