Les Graines du Figuier Sauvage
Die Saat des heiligen Feigenbaums
دانهی انجیر معابد
(The Seed of the Sacred Fig)
Prix Spécial du Jury – Cannes
2024
FR EN
Comment une fable contemporaine peut-elle dénoncer à la fois aussi symboliquement et aussi abruptement un régime politique que « Les graines du figuier sauvage » ? La réponse se trouve dans l’effort de Mohammad Rasoulof (Le diable n’existe pas – Ours d’or 2020) et de son équipe à transcender la fiction d’une famille pour la plonger dans la réalité d’une société.
À Téhéran, à la fin de l’année 2022, ce qui devait être un rêve pour Iman, sa femme et ses filles, devient rapidement un cauchemar. Tout juste promu enquêteur au tribunal révolutionnaire de la capitale, l’honnête homme est vite rattrapé par la machine à horreurs de son administration, confrontée de surcroît à de nouvelles tensions sociétales, d’ampleur mondiale. Déjà troublé par la nature profonde de son travail, Iman ne peut pas non plus compter sur ses filles ou sa femme, notamment lorsqu’il perd son arme de service, censée les protéger…
Mais le long-métrage se concentre bien plus sur ses personnages féminins, à savoir Najmeh (la mère), Rezvan (l’aînée) et Sana (la cadette). Avec un jeu délicat et subtil, ainsi qu’une intrigue fondée sur les mensonges, les cachotteries et les illusions, les trois femmes ne révèlent jamais totalement leurs pensées les plus sincères, en particulier Najmeh, tiraillée entre son amour, sa peur et sa foi. Toutes trois enfermées dans leur appartement en raison des émeutes, elles savent pourtant très bien ce qui se passe dehors, jusqu’à même voir la réalité leur exploser à la figure par le biais d’une amie de Rezvan.
Car le film, bien que fictionnel, nous rappelle à intervalles réguliers que l’histoire de cette famille se passe au moment de l’insurrection du mouvement ‘Femme, Vie, Liberté’ – qui s’est déchaîné après la mort de Mahsa Amini et qui a été très, très sévèrement étouffé. Le réalisateur expose ainsi de longues et bouleversantes séquences de véritables vidéos publiées sur les réseaux sociaux lors des manifestations et de leur insoutenable et brutale répression. L’on pourrait ainsi presque parler de hors champ indirect, tant ces extraits tranchent avec le film, sans pour autant faire oublier les craintes de Najmeh, Rezvan et Sana, dont les visages, corps et actions sont quasi systématiquement cantonnés à un cadrage oppressant, voire séquestrant.
Parce que « Les graines du figuier sauvage » raconte aussi l’histoire d’une huile du régime iranien, incarnation sobre mais d’autant plus pesante du patriarcat de la République islamique, sombrant dans la paranoïa et la violence lorsqu’il se sent finalement vulnérable face à une révolte qui se montre bien plus virulente et puissante que prévu. Là où la fiction rejoint la réalité…
How can a modern-day fable condemn a political regime as symbolically and bluntly as “The Seed of the Sacred Fig”? The answer lies in the determination of Mohammad Rasoulof (“There is No Evil” – Golden Bear 2020) and his team to transcend the story of a family and bring it into the reality of a society.
In Tehran, in late 2022, what was supposed to be a dream for Iman, his wife and daughters, quickly becomes a nightmare. Having just been promoted to investigator at the capital’s court of revolution, the honest man is quickly caught up in the horror machine of his administration, which is also facing new societal pressures on a global scale. Already troubled by the very nature of his job, Iman can’t count on his daughters or his wife either, especially when he loses his service weapon, meant to protect them…
But the film focuses much more on its female characters, namely Najmeh (the mother), Rezvan (the eldest) and Sana (the youngest). With delicate, subtle acting and a plot built on lies, secrecy and illusions, the three women never fully reveal their most sincere thoughts, especially Najmeh, torn between her love, her fear and her faith. All three are locked in their apartment because of the riots, yet they know all too well what’s going on outside, even to the point of having reality blown up in their faces by one of Rezvan’s friends.
Although fictional, the film regularly reminds us that this family’s story takes place at the time of the uprising of the ‘Woman, Life, Freedom’ movement – which broke out after the death of Mahsa Amini and was very, very severely repressed. The director shows long, moving sequences of real videos posted on social media during the demonstrations and their unbearable, brutal repression. One could almost speak of an indirect off-screen effect, as these scenes stand in stark contrast to the film, but do not detract from the fears of Najmeh, Rezvan and Sana, whose faces, bodies and actions are almost systematically confined to oppressive, even sequestering framing.
Indeed, “The Seed of the Sacred Fig” also tells the story of an Iranian government agent, a low-key but all the more heavy-handed embodiment of the Islamic Republic’s patriarchy, falling into paranoia and violence when he finally feels vulnerable in the face of a rising tide that proves far more fierce and powerful than expected. Where fiction collides with reality…