Rsg Production

La Chambre de Mariana

 
(Mariana’s Room)
 

2025

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C’est la guerre en Ukraine, oui, mais pas celle d’aujourd’hui. « La Chambre de Mariana » nous plonge en 1942 en Bucovie, région roumaine désormais ukrainienne sous la botte nazie, où la mère d’Hugo décide sans même lui expliquer pourquoi de le confier à son amie d’enfance Mariana. Elle lui remet une valise et l’avenir de son fils pour que cette dernière le cache dans le cagibi de sa chambre qui s’avère être régulièrement fréquentée par des soldats allemands !

Après « La Douleur », Emmanuel Finkiel continue sa collaboration avec Mélanie Thierry qui joue donc ici aux côtés d’une troupe d’acteurs ukrainiens et forme notamment avec le jeune Artem Kyryk un duo poignant. L’actrice française de « La Princesse de Montpensier » ou de « La Vraie Famille » y incarne donc cette mère de substitution dans une langue qu’elle ne parlait ni ne comprenait avant le tournage. Sa performance est Juste remarquable tant elle se métamorphose en cette femme rayonnante et exubérante dans sa langue, ses gestes et attitudes au point d’en oublier progressivement que ce n’est pas une actrice ukrainienne.

Mais au-delà de cette prouesse de jeu, « La chambre de Mariana » offre un point de départ singulier avec la privation d’un sens en général prioritaire au cinéma : la vue. Le réalisateur adopte en effet le regard de cet enfant caché et suspendu aux bruits qui l’entourent et aux scènes qu’il devine à travers la cloison dans un impressionnant travail sur la perception. Un dispositif statique (quasi à huis-clos) qui joue beaucoup sur l’imagination du hors-champ dans une mise en scène subtile qui repose (notamment) sur un voyeurisme innocent. Si le format carré de l’image renforce encore plus cette sensation d’enfermement, le film ne joue pas que sur la tension (loin de là) et s’aventure dans l’onirique dans certaines séquences portées par des jeux de montage et de très beaux plans – en particulier dans l’obscurité.

C’est un film sur la Shoah et sur l’enfance à travers cette fable d’Anne Frank en Ukraine, une manière de nous raconter l’Histoire par le petit bout de la lorgnette. Si l’histoire des enfants cachés pour être sauvés est connue, elle est rarement racontée à travers le regard des premiers concernés comme ici où deux histoires personnelles se rencontrent pour créer une relation complémentaire. Semblable à un ange dans la pénombre, Hugo devient ainsi l’ange de son propre ange-gardien alors qu’ils apprennent l’un et l’autre à comprendre le monde de l’autre. Il est le témoin mutique d’un monde qui s’éteint dont l’enfance s’efface pour laisser place à la solitude. Sa vie d’avant, ceux qu’il aime, sa mère, sa cousine, n’apparaîtront plus que dans ses souvenirs pour peupler son imaginaire, parfois aussi réels que sa chair et ses os lorsqu’il grelote de froid, d’incertitude et de carence de tendresse. C’est une œuvre intime, âpre, et romanesque dont la narration mêle avec élégance les rêves, souvenirs, et la réalité d’une vie confinée réduite à la (ré)imagination. C’est in fine la trajectoire d’un enfant qui part des ténèbres vers un désir de vie alors que l’arrivée annoncée des soldats soviétiques – supposé soulagement de la population – est en réalité synonyme du début d’un autre cauchemar …

Raphaël Sallenave

 

It’s wartime in Ukraine, yes, but not today’s war. “Mariana’s Room” brings us to 1942 in Bukovia, a Romanian region now in Ukraine under the Nazi occupation, where Hugo’s mother decides, without even explaining to him why, to entrust him to her childhood friend Mariana. She hands over a suitcase and her son’s future to Mariana, who hides him in the closet of her bedroom, which turns out to be regularly visited by German soldiers!

After “Memoir of War”, Emmanuel Finkiel continues working with Mélanie Thierry, who plays alongside a cast of Ukrainian actors, forging a gripping pairing with the young Artem Kyryk. The French actress from “The Princess of Montpensier” and “The Family” plays this foster mother in a language she neither spoke nor understood before filming. Her performance is Righteously outstanding, as she transforms herself into this radiant woman, exuberant in her language, gestures and demeanor, to the point of gradually forgetting that she’s not a native Ukrainian actress.

But beyond this acting feat, “Mariana’s Room” offers a singular premise with the deprivation of a sense that is generally a key element in cinema: sight. Indeed, the director takes on the gaze of this hidden child, hanging on to the noises around him and the scenes he guesses through the wall, in a remarkable exploration of perception. This is a static set-up (almost behind closed doors) that plays heavily on the imagination of the off-screen, in a subtle staging that relies (notably) on innocent voyeurism. While the square aspect ratio of the image further enhances this feeling of confinement, the film doesn’t play on tension alone (far from it), and ventures into the dreamlike in certain sequences driven by clever editing and beautiful shots – particularly in the dark.

It’s a film about the Holocaust, and about childhood through the fable of an Anne Frank in Ukraine, a way of looking at history from the small cracks. Although the story of children hidden in order to be saved is well known, it is rarely told through the eyes of those directly concerned, as is the case here, where two personal stories meet to create a complementary relationship. Looking like an angel in the half-light, Hugo becomes the angel of his own guardian angel as they both learn to understand each other’s world. He is the mute witness to a fading world, where childhood fades into solitude. His former life, the people he loves – his mother, his cousin – appear only in his memories, filling his imagination, sometimes as real as his flesh and bones when he shivers with cold, uncertainty and lack of tenderness. This is an intimate, harsh and romantic story whose narrative elegantly blends dreams, memories and the reality of a life confined to (re)imagination. Ultimately, it’s the journey of a child from darkness to a desire for life, while the heralded arrival of Soviet soldiers – supposedly a relief for the population – is actually the beginning of another nightmare…

Raphaël Sallenave

Oxana
20 jours à Marioupol